mercredi 7 août 2013

Jeu de clés

Donc, je n'ai plus peur de me mettre en danger. Avant j'avais peur que le moindre mouvement, le moindre souffle du vent me fît basculer, j'avais peur du vent je croyais voir du vide sous mes pieds, un rien m'aurait fait perdre l'équilibre, j'avançais lentement, attentive aux changements du paysage, cherchant à m'habituer, à doucement assimiler tout élément nouveau, je le fixais, je prenais bien mon temps pour le regarder, j'en examinais tous les visages et les répertoriais dans ma tête de peur d'être surprise, je préférais être seule, n'avoir que ma voix dans la tête qui me disait de bien faire attention, je refusais toutes les autres voix, les voix des autres qui me pressaient et me déconcentraient, j'ai appris à jouer du piano pour occuper toute la place et pour fermer les portes, empêcher les nouveaux arrivants de venir ; quand je joue personne ne peut ni ne veut m'interrompre, ainsi doucement je verrouille les portes, une clé de sol, une clé de fa, une clé d'ut, et pas moyen d'entrer, pas moyen de me bousculer ni de me faire vaciller, la nuit je rêve d'une boîte bien close pleine de coussins pour prévenir les blessures et étouffer les bruits qui viennent du dehors, j'étais prudente et attentive. Et puis, une pensée étrange s'est introduite, une idée qu'avec les mêmes clés on pouvait aussi déverrouiller les portes et voir ce qu'il se passait quand le vent arrivait. Une idée qu'on pouvait même sortir et explorer d'autres espaces, et peut-être, une idée qu'on guérit des blessures et des chocs, mais qu'on gagne à parcourir des lieux inconnus ; j'ai ouvert les portes et les fenêtres, j'ai laissé le vent y déposer ce qu'il portait, j'ai ramené des choses de la mer et des choses de la montagne et de la neige, j'ai parlé aux oiseaux et aux insectes, ils entrent et sortent à présent, comment s'ils étaient chez eux, j'ai grimpé tout en haut d'un rocher, j'ai bien failli tomber, j'ai ramené des odeurs de pierre chaude, des égratignures et une tension du cœur, je me suis heurtée à tout ce qui croisait ma route, j'ai chanté, j'ai dansé sans avoir peur de ce qu'on me dira, j'ai laissé les gens me bousculer, j'en ai laissé certains entrer.