samedi 7 novembre 2020

Magies


 

Et tu multiplies les visées du soleil.

La mer enfle en suivant comme un monstre informe et amoureux la lune qui s'éloigne et s'approche. 

La mer est partout. Entre elle et le ciel grisâtre on ne voit pas la différence. Entre elle et le bateau qui remue, on ne voit plus qui est quoi. Entre elle et toi. Tu respires la mer, elle entre en toi en souffle froid. Elle te saisit par les doigts. 

Escale sur une terre à peine plus solide que la mer. Une végétation grise rampe au sol et se déploie, fine ascète et tenace. Par endroits elle s'allonge et s'épaissit en touffes d'ombres et de boursoufflures comme les ondes. Croyant pouvoir t'appuyer tu t'enfonces et te retires d'un coup comme si la terre t'avait menti. Tu n'oses en tester la profondeur. 


C'est bien autre chose qu'un poisson, cet être que vous suit depuis des heures avec cette persévérance des vrais curieux. Il tourne autour du navire et sort de l'eau un flan gris comme la mer, avec cet œil. Cet œil très petit, ce regard long et sérieux qui t'étudie. 

Les oiseaux vous suivent, ils rient, ils jouent, il vous font fête, avec le vent et les voiles et les mâts dont ils n'ont de cesse que d'en faire le tour, de tester tous les étages, les points de vue, la solidité, le mât tangue imprévisible dans le nuage, la voile s'agite, c'est encore un événement que la courte mémoire du goéland rend toujours plus festif.

Ton cœur danse au rythme des remous, il a appris à s'abandonner aux mouvements de la mer. Bientôt les certitudes de la terre le quittent. Tout est mouvement. Bientôt il oublie cette immobilité illusoire en laquelle il a toujours cru. 

Tu bricoles au hasard un dispositif pour cuire le poisson. La fumée s'efface dans la brume. Sa chair commence à craquer alors qu'il le feu brûle à peine.

Il y a même dans la houle des chemins qu'on ne découvre qu'avec d'autres sens que les yeux. 

Tu deviens autre. Habitant de l'Atlantique. A peine le vent te fait-il ciller, tu gardes les yeux toujours plissés, ta peau toujours humide se fripe comme un vêtement trop porté, le froid ne te fait plus trembler, tu t'es blessé sans t'en rendre compte et aucune de tes plaies ne cicatrise. Tu perds le compte des jours et des nuits. Des regards et des bruits suffisent à dépasser toute langue humaine. Tu parles la langue des oiseaux qui flottent mollement sur l'onde en attendant la levée du vent, tu deviens familier des gestes attentifs et joueurs des cétacés, du langage codé des étoiles, pendant les nuits calmes, tu laisses sans émoi s'agiter les génies du navire. 

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