mercredi 27 septembre 2017

en dansant


de profondes galeries sont prises d'assaut
comme à l'intérieur d'un animal hurleur
là siège un village inabouti
bâti sur une matière sismique
à chaque pulsation il y a comme
les coutures du ciel qui se déchirent
avec un grondement de percutions bisées
ou comme si la terre se jetait
en mille fragments dans l'orage
au creux de la brèche de nouveaux sillons rencontreraient
d'autres terres
il y a comme des tours hautes et friables qui naissent
quand s'effondre le fondement même
d'un amour tellurique

- et quelle joie d'y être
                  maladroite                                                                      insolite
                                                                 oiseau
                                                                                              enfant
                  solaire et 
solitaire

car ce nouvel espace est à elle

danseuse de toutes les ruines
    abîmeuse                             
animale                                          hurlant
                          au milieu
       des pierres illuminées                                            

Artaud


"Se retrouver dans un état d'extrême secousse éclairci d'irréalité avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel."

avec personne dedans II


certaines choses se disloquent curieux
objets curieux
fragments
de pensées
de rires comme
la vitre brisée par les pierres
des gestes égarés des formes
disparues
d'un œil d'une langue ou d'une main
dans le noir de la mer
un morceau de cerveau déplié
ou une oreille inattentive
des profondeurs dénouant son labyrinthe
mêlés aux plis déliés des doigts tels de cheveux
comme une toile distendue
la forme d'un corps dissout
les os à l'intérieur
comme du papier ayant pris l'eau

tout au fond comme une épave ancienne
avec personne dedans
inutile acte d'y frapper
le choc toujours humide
demeure sans écho

avec personne dedans I


écoute tu entends ?
une de ces nuits où les grillons se répètent
où c'est comme s'il y avait la houle dans les arbres
bruissement dans les arbres bleus et la rivière
et le silence de la rivière tout proches
qui rendent tout cela lourd et sérieux

il parait que si l'on suit la rivière on arrive à la mer
je voudrais être un bateau
un beau bateau à vapeur et souffler de gros nuages blancs
naviguer tout le long de la rivière
comme elle glisse maintenant
sans drame sans heurt et sans chanson

il m'arrive de la suivre
la rivière on n'a pas peur de la perdre
on peut la suivre jusqu'au bout
la suivre elle silencieuse et moi aussi
la suivre comme elle sans faire de bruit
cheminer sagement et ne rien déranger
n'être qu'une ombre parmi celles qui hantent les bords de la rivière
la suivre dans le sens de sa marche
la suivre jusqu'à la mer et sentir tout à coup que le monde s'exténue
qu'on n'avance plus qu'on y est qu'il n'y a plus rien à faire qu'on ne pose plus de questions que toutes les sirènes des contes sont ici que j'en suis une fondue dans l'eau glissée de la rivière à la mer tout doucement arriver à marée mourante et personne n'en saura rien

La table de travail

La table de travail. Pourquoi n'y en aurait-il qu'une ? Et ces innombrables tables des bibliothèques, des médiathèques, la salle étroite au fond du couloir du collège de Noyant où personne n'allait j'allais à l'accueil je demandais la clé à j'avais mon sac à ordinateur sur l'épaule et beaucoup de temps avant le prochain cours.
Ma table est changeante et vagabonde – il y avait une table que j'aimais sur le campus de l'université de Belle Beille il y avait une table une table immense telle que quand tu t'y assois tes jambes ne touchent pas le sol mes jambes ne touchaient pas le sol par conséquent il y a ces petites chaussures que j'aime bien même je rachète les mêmes quand elles sont foutues petites chaussures qui tombent et je les laisse tomber faisant mine que je m'en rends pas compte alors que c'est pas vrai que j'ai l'habitude que j'attends que ça qu'elles tombent que j'en fais même un peu exprès juste pour sentir le vent qui souffle j'aime pas tout à fait avoir les pieds enfermés tout le temps et je redeviens petite fille à la grande table toute vide mais plus maintenant maintenant que j'y suis et je commence je commence par effleurer les fissures qui font de la table un pays traversé de crevasses et de gouffres table itinérante c'est ça ma table de travail même si j'ai pas l'impression d'y travailler mais bon une table où on se hisse avec un peu de peine quand même et qui nous fait nous rappeler ce que c'est que d'être enfant cette table elle avait pas tous ses pieds qui touchaient le sol ou alors c'est le sol qu'était pas droit ou les deux et les étudiants l'emmenaient où ils voulaient là où ils étaient bien à l'ombre au soleil sous les arbres aux quatre coins du campus si bien que parfois je voulais bien m'y asseoir mais je savais pas où elle était cette table c'est ma table de travail moi j'ai pas de maison pas de bureau qui soit vraiment à moi – je loue des meublés et rarement plus d'un an le même meublé c'est dire que j'ai bien du mal à la décrire ma table de travail c'est pas la table qu'il faut décrire c'est pas la table c'est le sac encore que lui aussi c'est pas toujours le même c'est pas toujours seulement le sac à ordinateur encore que parfois j'en ai deux parce que je trimballe des livres des livres qui sont pas tous numérisés comme par hasard c'est ceux-là qui m'intéressent il y a sac à dos sac à ordinateur en bandoulière un à droite un à gauche pour tous les carnets où il y a des fragments des notes à partir de quoi ça commence à écrire – il y en a quand ils parlent et qu'on prend des notes c'est comme un poème – je pars en voyage il y a des crayons de toutes sortes souvent je vous avoue des crayons qui sont même pas à moi que je me souviens à peine si c'est à un collègue ou à un élève que je l'ai piqué mon préféré en ce moment c'est un crayon six couleurs qui se voient à peine le genre rose orange turquoise et vert pâle mais heureusement y a couleurs qui se voient bien normal bleu foncé noir mais celui-là je le perds moins souvent je l'ai pas encore perdu parce qu'il est plus épais que les autres et j'ai pas besoin de le gratter à la semelle d'une chaussure ou sur le bois de la table pour lui rappeler comment il faut faire pour écrire il démarre au quart de tour il y en a d'autres qui sont cassés mordillés certains qu'on m'a donnés que j'ai toujours pas perdus et puis ces petits bleus que j'achète par quatre que je laisse trainer partout trois mois plus tard il faut en racheter les crayons disparaissent de mon sac de travail parfois le seul qui reste c'est le rouge pourquoi il y en a toujours un rouge qui reste je m'en fiche du crayon tant qu'il me dérange pas le rouge ça me dérange un tout petit peu le vert non mais le rouge... pas que des crayons des livres aussi j'en ai déjà parlé mais je vais en reparler des livres que j'ouvre même pas en plus ceux-là qui ont des mélodies singulières que j'ai besoin d'avoir avec moi pour me rappeler – pas de leur véritable mélodie pas de la vraie mais de celle que je leur ai prêtée avec le temps mélodies imaginaires que je cherche à retrouver parfois je parle de celle qu'il y a dans ma tête il y a des lunettes un agenda pour rien pour gribouiller ce petit carnet rouge bousillé que j'emporte toujours avec moi et le chargeur et l'ordinateur. Il faut du silence à la table à écrire, sinon, ça va pas. Il faut même pas de table, un lit, ça suffit, parfois j'ai même une table et j'écris sur le lit.
Il n'y a pas de table de travail. Qu'un sac et du silence.


Bonnefoy


Et demain, à l'éveil
Peut-être nous vies seront plus confiantes
Où des voix et des ombres s'attarderont
Mais détournées, calmes, inattentives,
Sans guerre, sans reproche cependant
Que l'enfant près de nous sur le chemin
Secouera en riant sa tête immense
Nous regardant avec la gaucherie
De l'esprit qui reprend à son origine
Sa tâche de lumière dans l'énigme.

samedi 23 septembre 2017

Intimité


Il aimait ouvrir les boutons des coquelicots. Il en décollait délicatement les deux lèvres closes, en déployait les pétales tendres et fripés, l'ouvrait pour voir le cœur humide, recroquevillé sur lui-même comme un dormeur qu'on surprend, enlacé dans la toile de ses rêves.

Métamorphoses

Nous allions jusqu'aux lieux les plus reculés par-delà les barbelés les « interdit d'entrer » les réverbères fracassés libérer les espaces ceux qui sont condamnés hors de portée se détachent se déplient à côté du chemin balisé la promenade pour touristes battue des pieds des escarpins talons aiguilles baskets à crampons docile et sage bien nettoyée la balade des cafés nous allions pieds nus sur les toits se promener comme dans les bois nous allions par des ruelles si étroites qu'il fallait se fondre l'un dans l'autre pour passer des ruelles vivantes des ruelles savantes celles dont les volets ouverts battent comme des ailes renversées fragiles s'accrochant aux pierres du mur de la ruelle par quelques pattes minuscules nous chantions dans les puits où nos voix bien plus grandes ricochaient si fort qu'elles revenaient nous heurtaient nous restions plantés là comme des arbres vibrants.

Théâtre III

Et s'il fallait
ne veiller qu'à l'endroit où se pose ton pied
non pas devant
ni derrière
mais jouer des pierres
qui font
l'une et l'autre le chemin qui mènera vers l'immense surprise d'être là.

samedi 16 septembre 2017

Mondes élastiques


La lecture est d'abord découverte, exploration d'un espace intérieur, particulier, étranger, mouvant, qui se déplace selon les êtres qui y pénètrent, le moment de la lecture, les données extérieures. Chaque lecteur habite un monde d'autant plus vaste et précis qu'il lit d’œuvres et d'auteurs. Chaque auteur est un pays. Chaque pays a ses propres dimensions, régions et paysages. La liberté et la pensée grandissent proportionnellement à la taille de l'univers intérieur. Celui-ci peut grandir encore quand la personne voyage, regarde, écoute et goûte, quand elle apprend à connaître l'inconnu, quand celui-ci laisse entrevoir la lumière de sa propre planète. Ces trois actes - lire, voyager, rencontrer - sont de même nature.

Rencontre


All she wanted
was to find a place to stretch her bones
a place to lengthen her smiles
and spread her hair
a place where her legs could walk
without cutting and bruising
a place unchained
she was born out of ocean breath
I reminded her :
'Stop pouring so much of youself
into hearts that have no room for themselves
do not thin yourself
be vast
you do not bring the ocean to a river'

Tapiwa Mugabe

Tranche de vie


les pages de mon agenda sont prédécoupées
un faux mouvement suffit
une tranche de vie se détache et pend
comme une peau morte arrachée des mains gercées
lambeau sanglant dans l'arrière boutique du boucher

lundi 11 septembre 2017

Rencontre

Des gestes
par lesquels il est possible de retracer toutes les courbes de sa pensée
pensée en fuite
langage décroché dont le mouvement naturel dessine des méandres
langage pensée et gestes sinuant au cœur de zones inopinées
prenant les chemins de traverse pour mieux expérimenter la profondeur de la vie dans les forêts bruissonnantes

Notes sur Henri Cartier-Bresson


"Il faut être disponible, il n'y a que la chance qui compte"
Sensibilité / sensualité
On peut photographier tour à tour avec un oeil de peintre, de philosophe, de psychologue "la photo est une action immédiate, le dessin est une médiation."
L'oeuvre d'art est une question, non une réponse.
L'artiste, toujours en fuite : "Il faut s'en aller, foutre le camp, pas se laisser coincer".
D'importants aussi, la communication, l'instant, la participation.
Quelque chose de morbide dans la photo, où le saisissement est fortuit, fragile, demande l'habileté du pick-pocket et peut souvent n'aboutir qu'au néant. Etre sans cesse en prise avec le temps. Etre présent. Ne rien perdre de ce qui arrive. Ouvrir l'oeil, être attentif, disponible.
Pour comprendre une peinture, il faut en faire un croquis, la remettre en question, savoir de quoi il s'agit. Nous sommes dans un monde critique, un monde de commentateur.
La photographie, par son immédiateté, ne peut être qu'acte d'amour inconditionnel, élargi aux hommes, aux animaux, aux arbres, à tous les témoins d'un grouillement urbain :"Photographie, c'est mettre sur la même ligne la tête, l'oeil et le cœur." Et laisser la photo poser les questions qu'elle contient sans tenter la maitriser davantage qu'on ne le peut. Le photographe est là pour saisir des questionnements qui se réalisent par le résultat de son acte. Il n'est pas davantage responsable de ce qu'il photographie. Sa responsabilité tient encore dans le choix qu'il opère après coup, de garder ou d'oublier les photos qu'il a prises.
De même l'acteur doit conserver cette attitude généreuse, attentive, et enfantine qui fait qu'il est par essence non responsable des actes qu'il commet, que son art le dépasse par sa vérité et sa justesse même, dès lors qu'est aboli son jugement sur lui-même, sur les autres et sur ce qu'il fait. Il est canal. Il se laisse traverser par le réel et les exigences d'un corps ultra-sensible et poussé à la plus extrême sensualité qui le rend plus vivant, plus présent. De même Giorgia O'Keefe d'abord traversée puis prolongeant le mouvement sur la toile. De même le poète.

dimanche 3 septembre 2017

J'irai marcher

j'irai marcher
sans vraiment savoir où aller
j'irai
là où l'on ne va pas 

j'irai grimper sur la montagne ou bien
là-haut
observer les pierres tombées
explorer les galeries les maisons assises sur la montagne par elle même à moitié dévorées

parler
aux habitants entendre leurs voix fraîches et dures comme des rivières

je me pencherai sur le rebord du monde comme à une fenêtre
s'il est assez large m'y asseoir
j'irai marcher
au bord du monde
au bord des fleuves et des mers et des vallées
au bord des gouttes d'eau qui se jettent des nuages sans faire ni une ni deux

j'irai marcher
au bord des arbres
tout au bord des branches et des ramilles et des feuilles quand elles ploient sous la brise
même de celles qui sont vertes et tendres à la toute fin de l'hiver 
au bord des herbes
au bord des pissenlits 
des boutons d'or
des coquelicots

j'irai marcher sur la pointe de tes pieds
au bord des cils des lèvres
sur la pointe du nez qui s'abaisse un peu quand tu parles
j'irai marcher sur poils de tes bras
et le petit creux au milieu du ventre
j'irai là tout au centre

vendredi 1 septembre 2017

roadwriting


     Premier arrêt bras de l'Eure à la sortie d'une commune nommée Thivars its the place to be un ruisseau boueux des arbres maigres étendent leurs branches noueuses pour empêcher les bateaux de passer le ciel est gris mais le vent s'est tu l'eau est grise avec des reflets verts et dans les arbres un panneau rouge crie propriété privée défense d'entrer pas d'inquiétude je n'irai pas au delà de cette barrière d'arbre, j'ai mieux à faire sans doute.
     Défoncer le quotidien aller au-delà des frontières arbitrairement dessinées tous ces beaux pays qu'on n'explore pas parce qu'on n'a pas le temps l'envie la curiosité parce que c'est trop loin, parce qu'on a peur un peu sans toujours savoir dire de quoi, parce qu'il peut se passer n'importe quoi.
     Les livres sont comme des pays, les personnes comme des livres, on en revient changé sans parvenir à saisir exactement ce qu'il y a de différent en nous c'est peut-être dans la manière de respirer ou dans la richesse des images qui se reflètent dans nos regards.

     Village de maisons naines en briques rouges semé de réverbères sobrement peints de noir élégants et romantiques. Chaumont sur Tharonne. Y a-t-il un coin de l'univers qui ne mérite d'être connu ?
     Voyager parce qu'on n'est pas capable d'illuminer son quotidien d'un simple regard comme quand on tombe en amour d'une voix d'un regard, comme on illumine une terre étrangère qui trouve aussitôt écho dans la peau le cœur, comme on ouvre la lumière d'une demeure étrange et familière. Toucher terre, se nouer aux êtres et aux choses.