lundi 4 mars 2019

Ce qui reste planté


Elle avait ce regard en flèche plantant les choses et s'agrippait à elles de toutes ses grandes mains larges, de ses guiboles fichées dans le sol comme deux troncs d'arbre. De sa voix râpeuse et tendre, elle plantait toujours, avec justesse et obstination. Je ne sais pas ce qui me manque si ce ne sont ces jours de soleil et le frottement des herbes hautes sur nos jambes nues, les grosses pierres qui nous font perdre l'équilibre quand on court dans la poussière. Son dos courbé sur le sol qui plantait et récoltait, plantait, récoltait. Les cris des poules, le chien qui aboie. Ces étés dans le soleil plat de la Beauce et ce qui poussait dans son jardin de broussailles. Je me souviens Elle battait les blancs en neige à la fourchette. Retirait les tiques dans les poils de son chien d'un coup sec. Clouait au mur un papillon de nuit qui s'était posé là sans rien voir venir. Elle s'était avancée, la grand-mère, plantée qu'elle était sur ses troncs d'arbre, avait sorti un clou d'on ne sait où et sans crier gare, cloué l'insecte au chambranle de la porte. Puis, retournée tranquillement à ses affaires, à la conversation qu'elle n'avait pas quittée, avec l'assurance et la droiture des moissonneuses traçant dans les champs. Je me souviens de sa main fermement posée sur la mienne, de son regard pénétrant, de son sillage dans l'espace.