mercredi 26 juillet 2017

Mirabellier


Ce matin le mirabellier est fier, pailleté, blanc. Il est là, paré de mille étoiles, comme s'il avait profité de ce que tout le monde dormait pour déplier ses bras noueux et les tordre dans le ciel, ramener à soi les lumières en paquet qu'à grand peine il a volées à la nuit pour les porter ainsi, crânement, pendant les quelques jours qui suffisent au ciel pour être jaloux.

La fille aux yeux de poupée


     Voilà quelque chose qu'elle sait faire être belle et s'enfermer dans son visage lisse et blanc savamment décoré avec une peinture qui ne craint pas l'eau, voilà quelque chose qu'elle sait faire au moins conserver cette beauté rigide quand elle se recroqueville et garder voix posée travaillée et dos droit tendu quand une partie d'elle s'échappe cela passe inaperçu car son visage grandit elle est là visage et corps s'étirant faisant barrage dos très droit et visage fermé qui laissent fuir la perdue l'absente la démontée celle que les reproches abîment qui la plongent tout au fond d'elle-même là où ont coulé d'anciens châteaux ayant navigué sur ses eaux et elle s'étonne d'être là toute droite quand une partie d'elle s'échappe se creuse et se cabre mur lacrymal qui voudrait d'un coup tout effacer qu'un moindre mouvement soulève et renverse brusque, violent, et elle se permet de cracher sur ceux qui lui font mal, mais en dedans, seulement, ne sachant que faire d'autre, inutile, remuant sa colère derrière les murs qu'elle a dressés et solides, eux, elle hurle en dedans, seulement en dedans, mauvaise fille et hypocrite avec ça. Ces pensées orageuses, elle ira jusqu'à chercher des mots pour les dire, elle attendra la solitude et fera jaillir tout bouillants ses mots, ses menaces et ses cris jaillissants bien rangés en phrases correctes, sujet, verbe, complément, silence.
     Elle ira jusqu'à les écrire en appuyant bien le crayon sur la feuille, et voulant presque que les mots la traversent et qu'ils se gravent sur la table et alors elle s'en mordrait les doigts, mais pas trop, parce qu'enfin quelqu'un pourrait la lire.
     Sujet, verbe, complément, silence.
     Des phrases.
     Jusqu'à ce qu'il ne vienne plus que des sursauts, des gouttes d'eau qui perlent à ses yeux.
     Sujet, verbe, complément, silence.
     Elle donne des couleurs à la façade qui lui sert de visage.

Parole d'oiseau


enfin la neige se fond
que n'ai-je au fond ce grand frisson
celui par qui
le monde se révolte

je viens tout droit du matin
j'ai les mains blanches
la neige était sur elles
que n'ai-je encore des ailes celles qui
me porteraient jusqu'à demain

j'ai volé toute la nuit
et les étoiles aussi
j'en ai fait un bouquet
avec quelques perles rouges et blanches et j'ai

ramassé
des mots
d'oiseau seulement ceux que
j'ai trouvés qui étaient sur les branches

jeudi 6 juillet 2017

En rêves libres


les étoiles sont bleues
et le ciel jaune
à l’ombre d’une rue
rue de la fu-i-e
pavés très durs
j’ai les pieds nus et je n’ai pas froid
à l’ombre de cette rue il se promène et siffle ça fait
ffuitt
à la fenêtre cette nuit la neige est
une taie qui laisse voir
l’éclat de la bougie dans la chambre chaude
un homme passait par là
rapide
avec un oiseau dans la tête
au creux de la barbe l’arrêter
chercher le visage
de la bouche presser des lèvres
qui ne bougent pas
ça pique un peu

les portes s’ouvrent à l’envolée
surgissent des enfants ils
sautent très haut dans le ciel leurs
sacs-à-dos sur l’épaule
les cheveux rouges au vent comme des flammes
sur les toits de la ville de Berne

rouge aussi l’homme qui fuyait par là
le vide qu’il creuse content et
solitaire
il est
de dos
il s’éloigne en dansant
on entend dans sa tête
chanter l’alouette

les couleurs
se reflètent dans l’eau du fleuve
c’est bien la Maine car les péniches somnolent
les couleurs dans le ciel comme des taches posées là
par un peintre un peu
fou
qui ajoute de l’eau
encore et encore
qui inonde la toile dans cette pièce si petite
trop petite
on croirait
qu’elle
ré-
tré-
cit
elle
ajoute de l’eau
elle inonde le sol
elle inonde la toile on ne peut pas
peindre par terre
elle est trop grande la toile
je le sais bien elle est trop grande
je suis assise sur elle pour peindre
des images bleues et des
figures sans visage pour peindre
il faut s’asseoir dessus
sous la toile
la ville défile
en furie
avec les réverbères et les phares
des voitures qui
nettoient la route
et j’inonde ma toile
j’en dilue la couleur
j’en mélange les images
j’ai oublié
que je suis sur elle
les jambes
barrent la toile
des taches pâles en étoiles je n’ai
plus de mains pour tenir les pinceaux
tout s’en va
toits de Berne
bougie
péniches
départs en voyage
oiseau tenu bien serré dans la tête se perd
et le pied du réverbère s’en va
sa lumière
boit la cage sombre qui la gardait
tout s’en va
tout va

bien

au point

de jeter les couleurs toujours pas satisfaite
de jeter la palette
de claquer la porte
de quitter la pièce

Novarina


"Je préfère m'en aller pour vous quitter. Pouvez-vous m'indiquer la gare ?
Une gare ? Je vais porter mon corps ailleurs que j'ai pu. J'ai jamais pu
porter mon corps ailleurs qui dit quoi. Je vais porter mon corps ailleurs
qu'en moi. Porter mon corps ailleurs qu'ailleurs."

Valère Novarina


Photo : Charly Maupas

Jours de silence

     Il y a maintenant quelques années que je n'écris plus dans cet espace - le blog, le globe comme je me plaisais un temps à l'appeler. Sans doute cette tendance un peu jalouse de tirer à nouveau l'écriture à moi, la tirer en moi, l'anonymer, ne plus demander à personne ce qu'on en pense, parce que les regards influent tant que leur courant me dévie.
     Aujourd'hui je peux plus aisément compter mes jours de silence. J'ai fermé la porte de l'appartement, je me suis perchée au cinquième étage d'un immeuble qui ne se trouve pas tout à fait dans la ville. J'ai ouvert des chemins qui n'étaient peut-être pas les miens, marchant sur les herbes hautes, ignorant les brûlures d'orties, repoussant les branches basses et épineuses. J'ai été à la rencontre de beaucoup de détresses et j'ai cru pouvoir les sauver, j'ai cru que j'avais tant à donner et donnant ainsi sans plus compter je me suis donnée toute entière, m'apercevant trop tard qu'il ne restait rien à mon endroit.
     Ces jours de silence qui manquent tant aujourd'hui. Je reviens à moi. Je m'en vais loin de vous ; je m'en vais loin hors de moi. Ces jours de silence qui manquent, sans ces flux de parole qui égarent. Ces jours de silence par quoi il est seulement possible de percevoir la voie qui appelle.
     Il y a trop longtemps que je ne lis plus, assommée des mots vains qui fusent maladroits et blessants tout autour, trop longtemps que je ne voyage plus, désirant multiplier mes yeux et faire qu'ils lévitent hors de ma tête où bon leur semble pour tout saisir. Pour ça aussi, l'écriture, retirée comme la mer à marée basse.
    Je vais maintenant être loin de vous pour ne plus abîmer ce qui palpite encore très rouge et souffrant. Je ferai pousser la chair autour du noyau tremblant, revenu à cet état d'enfance hésitant dont on ne veut pas toujours se souvenir. Lui donner la force d'être à nouveau source, et sans craindre de rien briser, pouvoir m'y réfugier, moi aussi, toute entière.

Dégât des eaux



Dissoute



Alice