mercredi 8 novembre 2017

Je pars sans toi



je préfère
je préfère que tu dises que tu te sais
déplacé
éloigné
absent même
que tu ne m'entends pas
que tu ne me comprends pas
que ça t'est égal dis-le
plutôt que de faire semblant
m'emmener
par la main
avec toi
dans tous les recoins
de ton jardin

tu respires comme un chien qui joue avec une branche morte

est-ce que tu l'as vue, la carte du ciel imprimée sur mon visage ?
et les nuages qui passent quand m'effleurent le soleil et ta joue ?
est-ce que tu vois ces collines et ces vallées ces gouffres ces forêts ces rivières les chemins sinueux qui mènent aux lacs gelés qui sont au bout des doigts ?

écoute
il y a des instants fragiles des insomnies des déchirures
il y a des bouches pleines d'étoiles

ferme les yeux
il y a des funambules et des vertiges des océans des pyramides
il y a des monstres à sculpter et des arbres hauts comme des cathédrales tu peux grimper en haut des arbres

regarde
il y a des nuits pleines de lune
il y a des villes de cheminées en flammes et de squelettes de métal longeant des ports en fumées et brouillés de pluies obliques
il y a que le ciel même se déplace
et la nuit dans les trains
des mains qui palpitent comme des phalènes et font ricocher la lumière

à moi aussi
seul manque ta peau qui vacille
le lieu que j'habite est vaste
si tu restes sur le seuil je pars sans toi
si tu entres sans voir sans entendre ou sentir
des gouffres ou des vertiges
t'en reviens les mains vides
et moi saccagée je m'applique
avec gestes lents et voilés
à effacer les traces que tu m'as laissées

je pars sans toi
je te laisse, tes mots, tes fleurs, ta peau
je les ai déposés sur le seuil je pars sans toi
je mets mon téléphone en mode avion
je pars je prends le train pour l'océan
je parle une langue que tu ne connais pas
et chaque mot te dit va-t'en
de l'autre côté du monde et de la langue
tu n'existes pas

samedi 4 novembre 2017

Rilke à Balthus

février 1921

"Il y a nombre d'années j'ai connu au Caire un écrivain anglais, M. Blackwood, qui, dans un de ses romans, émit une assez gentille hypothèse ; il prétend là que, toujours à minuit, il se fait une fente minuscule entre le jour qui finit et celui qui commence, et qu'une personne très adroite qui parviendrait à s'y glisser sortirait du temps et se trouverait dans un royaume indépendant de tous les changements que nous subissons ; à cet endroit sont amassés toutes les choses que nous avons perdues, les poupées cassées des enfants, etc., etc.."