samedi 20 juillet 2013

Interférences

     Le dos courbé la démarche qui balance et l’arrosoir. J'ai croisé cette femme, je ne l'ai pas bien regardée. Dans ma tête bondissent délicats les arpèges bien connus d'une harpe. Je prends ce pli dans l'allée sous les arbres, mon vélo tout terreux changer de vitesse je pédale en danseuse. Je connais bien le chemin, j'y retourne souvent, je n'y vois pas grand chose et Bachar Al Assad a reçu une formation à Londres, une formation de médecin ophtalmologiste, vous savez la meilleure ? une formation de médecin ophtalmologiste et je continue une poussée de la hanche sur la pédale de mon vélo les feuilles fines des arbres maigres claquent au vent, elles claquent l'une contre l'autre elles rencontrent des ramilles, d'autres feuilles elles ne savent plus si c'est leur ramille ou celles d'une autre elles se rencontrent et claquent entre elles doucement comme on claque des doigts on entend à peine bondissent les doigts, le bout des doigts sur la harpe sans se soucier du pourquoi du comment ni même des faits de rien bondissent joyeusement petit oiseau sur les branches d'un cerisier vient picorer, abîmer, blesser la chair ronde et rouge, le fruit du printemps, ce printemps de Damas qui n'en finit pas de rougir, déjà c'est l'été, rouges, et rouges encore les cerises écorchées par les coups de l'oiseau tombent une à une du grand cerisier. Les cris d’enfants le masque de la petite fille sage se retourne un temps son pied plonge allègrement dans la boue de l’allée. Une catastrophe ferroviaire, un enfant couvert de sang ce n'était pas son sang, six morts, on commence seulement à soulever le wagon renversé pour vérifier qu'il n'y a pas de victimes là-dessous, s'il n'y a pas de victimes là-dessous. Allez viens, si c'est comme ça, on va déménager, on ira là où c'est plus calme, un million huit cents mille réfugiés syriens ça fait combien en vérité un million huit cents mille, aller ailleurs, là où il n'y a pas de morts qui courent les rues, quelle misère, ces fantômes qui hantent la ville, ces inconnus de Homs si bruyants malgré les fumées, les silences, j'en aurais le vertige, j'en aurais un frisson, heureusement les accords de la harpe insensés galopent au fond dans mes idées, heureusement les arpèges et la douceur des bonds, heureusement rien qu'un coup de la hanche un déploiement du genou et je suis ailleurs. Abattre les arbres à la tronçonneuse les rassembler en une montagne d’en haut voir ce qui se cachait sous eux, il faudra bien un jour relever les wagons, mais ma petite fille sage ne sait rien de tout cela, ma vieille, concentrée sur son arrosoir, ma petite fille sage, ses trois pièces tièdes dans sa main moite, aussi touchée que si on lui avait raconté une histoire pour l'endormir, intéressée trois minutes ou trois secondes. Dans sa course elle pense vaguement au petit Syrien qui passait à la télé et elle court et bondit, légère et fine comme le bout des doigts sur la harpe.

mardi 16 juillet 2013

Parole du haut d'un bunker

     Qu'attendre de la mer, un soir d'été ? Sur la plage il y a tant de monde. Tant de monde sur le chemin qui longe la mer. Du monde encore dans les poches littorales, ces plages non surveillées, coincées entre les rochers. Des gens qui se promènent, draps de bain et crèmes solaires, des gens étendus qui brûlent depuis midi qu'ils sont ici, du beach-volley, des raquettes en plastique et balles en mousse, châteaux de sable et méduses échouées sur le sable humide en attendant marée haute. 
     Je n'ai pas eu envie d'attendre sur le sable. Je n'ai pas eu envie de m'asseoir sur un banc. J'aurais pu t'emmener escalader les rochers, mais ça, tu l'as déjà fait mille fois. 
     Cet espace de silence, c'est certain, tu ne le connaissais pas. Je te fais grimper sur le mur, c'est facile. Une grande marche à monter, tu as de longues jambes. Sans rien regarder nous marchons précautionneusement sur la grande pierre dessinée. Dessinée, coloriée, visitée tous les ans, au passage du promeneur elle se fend d'un sourire avisé, invite le voyageur à prendre du repos, offre un espace de jeu à quelques grands enfants moqueurs, qui l'occupent comme à la guerre, avec des bières, des cigarettes et trois accords de guitare. 
     Mais ce soir, c'est à nous d'être ici, à nous le silence et le temps qui s'étire, à nous le ciel tout plein d'un soleil rouge qui se plante sans broncher sur les toits des immeubles de la ville en face, à nous le plaisir de compter les bateaux, de compter ceux qui, tout occupés d'eux-mêmes, ne voient que leurs chapeaux qui s'envolent. A nous le dialogue avec l'Atlantique, à nous de pouvoir suivre vol de la mouette et les petites personnes debout sur les rochers. A nous le vent, le sifflement du vent à nos oreilles. C'est là que je t'apprendrai à vivre des choses plus belles. 

mardi 9 juillet 2013

Hasi le Septième

     Il faisait grand jour lorsque j'arrivai sur les lieux. Aucun château, aucune riche demeure pour m'indiquer où trouver le maître des lieux. La Forteresse de la Pluie, pourtant, c'était bien le nom porté par ce village, et aucune peine ne saurait égaler la déception qui me gagna ce jour-là. Longtemps, j'avais arpenté le vaste territoire, sans rien voir qui méritât d'être raconté. Enfin, perdu comme un chevalier errant en quête d'aventures, je pénétrai sans y prendre garde sur le domaine du seigneur Hasi, lequel m'accueillit avec force grognements et reniflements de toutes sortes, se retourna trois fois en sautant, avant de se poser enfin, immobile, et de m'observer d'un œil bienveillant. Comme c'est la coutume dans cette partie de l'Allemagne, je le saluai et le recommandai à Dieu. Cela fait, je lui demandai fort poliment de m'indiquer le plus court chemin pour sortir de là. Monseigneur Hasi me répondit par un reniflement énigmatique. Alors apparut un noble chevalier, serviteur du roi, qui se fit un plaisir de me renseigner en trois mots. Après cela, il s'empressa de me dire tout ce qu'il savait du seigneur Hasi et de ses prédécesseurs. 
     Hasi, le septième de tous les Hasi, est le plus doux et le plus tendre de tous les Hasi ayant jamais vécu sur cette terre. Sur son large domaine, il s'est creusé un abri souterrain, en prenant soin de ne pas sortir des limites de son royaume ; il s'est occupé lui-même du développement des infrastructures (une autoroute fait le tour du territoire, et mène tout droit au palais du roi). Il est sédentaire, il aime trop ses sujets pour songer à l'aventure, et salue gentiment tous ceux que le hasard lui amène. 









Sur l'image : Hasi VII



 
Sur l'image : Tombe de Hasi VI (2002-2012)



inspiré d'une histoire vraie, 
photos prises à Regensburg.