samedi 27 avril 2019

Marin I


LA NARRATRICE :

[Elle s'est endormie dans les bras d'un personnage qui ne semble pas la voir.]
Il me plaît, ce personnage, il m'a plu tout de suite, dès qu'on s'est retrouvés là, tous dans cette salle. A moi, il m'a plu. Mais lui, il regardait les autres, une à une, comme si je n'existais pas. Il s'approchait d'elles, il leur parlait en les regardant bien dans les yeux pour leur faire croire qu'elles étaient différentes, et il souriait. Il avait l'air heureux quand il parlait à une fille, posait ses deux mains sur les hanches et relevait le menton comme un de ces conquistadors qui découvraient l'Amérique. J'aime sa démarche de matelot tout droit sorti des vagues. J'aime son énergie, son appétit, sa curiosité insatiable. Bien sûr il a séduit toutes les autres. Et comment pourraient-elles ne pas être séduites ? Et puis il s'est aperçu qu'il n'y avait plus que moi. Moi, je m'en fiche, qu'il soit d'abord allé vers les autres. Je m'en fiche, si son seul désir maintenant c'est de partir loin. Il ne peut pas partir. Il va rester avec moi, me laisser le temps de dévorer son cœur de marin qui s'en va loin. Mais je l'entends qui parle encore.

Poupée

ANNA :
est-ce qu'elle s'est déjà demandé
si j'en voulais
moi
de son costume
s'il me convenait
parce qu'elle prend un air intelligent

à tourner autour de moi comme une vraie professionnelle
redresse le buste et m'observe avec
comme un air de satisfaction
comme si c'était elle qui m'avait fait
mais j'étais là avant elle
je suis plus vieille
je suis plus grande
mes mains sont plus larges que les siennes menues d'enfant qu'ont l'air de jouer
à la poupée
reprends tes aiguilles
ton fil
ton tissu
tes costumes que tu donnes que tu distribues à tort et à travers
toi qui ne sais même pas qui tu es
j'ai toujours préféré les pantalons

WILL :
j'ai toujours préféré les robes

ANNA :
ma mère se disait heureuse d'avoir une fille
elle m'a élevée seule
elle disait

LA MERE :
sois belle ma chérie
tu es belle
tu as de beaux cheveux
ma princesse
sois grande et jolie comme ça
comme moi
plus belle que moi

ANNA :
et elle me maquillait déjà
à cinq ans
fond de teint
fard à joue
fard à paupières
mascara
lèvres rouges
et je jouais
toujours en robe
parfois elle m'interrompait dans mes jeux pour changer ma robe
elle disait

LA MERE :
ça va pas
en fait
j'ai envie d'en essayer une autre
ça ira mieux avec ton teint
avec mon humeur
avec la couleur de ta chambre

ANNA :
et elle insistait pour changer ma robe
quand j'ai grandi ça continuait

LA MERE :
tu vas pas à l'école comme ça
regarde comme t'es habillée
laisse-moi un peu te maquiller
tu sais pas faire je vais te montrer
tu devrais savoir maintenant
ma belle
ma douce
ma princesse

WILL :
je veux être une princesse

LA MERE : 
souris un peu
souris

ANNA :
je ne suis pas une souris
je veux être astronaute

WILL :
je veux être fée

ANNA :
je veux être pirate

[Silence. A la narratrice.]

t'as entendu ?
t'es sourde ou quoi ?
elle est sourde !
je veux un autre costume
j'en veux un autre
je jouerai pas sinon
je vais rester ici
je vais rester ici et me taire et pas bouger jusqu'à
ce que tu me trouves autre chose à mettre
je joue pas avec toi
et tu vas me lâcher me laisser aller où j'ai envie d'être
et faire ce que j'ai envie de faire
je suis pas ta poupée
je suis pas une poupée
va-t'en !

jeudi 25 avril 2019

Murs III

LA NARRATRICE :

Cela fait plusieurs jours que nous sommes ici. Plusieurs semaines, peut-être des mois, des années. Je ne sais pas comment nous sommes arrivés là, personne ne le sait. Ils ont chacun une manière bien particulière de répondre à l'angoisse d'être enfermé.
Elle par exemple, elle est persuadée que la sortie est dans le sol, alors elle creuse, elle creuse et n'arrive qu'à y laisser ses ongles brisés qui se mêlent à la poussière du lieu et à ses larmes. Elle, au contraire, elle pense que c'est dans le plafond, elle croit qu'elle est venue du ciel et qu'il n'y a rien à chercher dans le sol, que tout vient du ciel, tout y revient. Et la voilà qui bondit de plus en plus haut, c'est ce qu'elle croit, pour s'accrocher aux projecteurs, au poutres, au cintres, soulever le toit comme si c'était facile, d'une simple poussée le toit s'ouvrirait comme un vélux bien huilé. Elle s'appelle Luce. Tom, lui, il croit que s'il pleure-crie assez fort, s'il est assez poli, assez gentil, le mur s'ouvrira ou fera diligemment apparaître une porte. Elle, elle se dit qu'à force de frapper elle fera trembler les fondations et les murs s'effondreront d'eux-même. Elle ne pense pas que si elle fait ça, nous seront tous écrasés par le poids des murs qui s'écroulent. Je pense qu'elle veut bien qu'on soit tous écrasés par le poids des murs qui s'écroulent. Lui, c'est un intellectuel, un genre d'architecte ou d'ingénieur. Jean, il s'appelle. Il étudie la pièce afin d'y trouver un faille. Mais il a besoin de silence pour travailler et avec l'autre qui crie c'est pas possible. Il ne leur faut pas longtemps pour avoir envie de se battre, à ces deux-là. Ça leur arrive tous les jours et ils s'épuisent en même temps, puis retournent tranquillement à leurs vaines tentatives. Elle, c'est Anna. Elle est calme, elle essaye d'écouter à travers les murs pour entendre des voix. On n'entend rien d'autre que nos propres voix. Lui, c'est Will, se prend pour un magicien, à murmurer des incantations comme s'il détenait le secret de notre prison. Rien n'y fait.
[Un personnage s'approche, lui hurle quelque chose, lui montre du doigt chacun des personnages et s'approche d'elle, menaçant, prêt à frapper. Marie ne dit rien. Ne bouge même pas. Elle le regarde en silence]
Il peut hurler tant qu'il veut ça ne sert à rien, je n'entends rien.
Mais je sais pourquoi il est en colère. Je sais même que ce n'est pas à moi qu'il en veut. Il ne me connaît même pas. Il s'en veut à lui-même. Il croit que c'est sa faute s'il est là. Il pense que c'est un sorte de punition ou de châtiment divin, même s'il a jamais été très croyant. Il est en colère parce qu'il est passé à côté de sa vie, qu'elle était belle, et qu'il ne l'a même pas regardée. Pire, il l'a bousculée, jetée par terre, frappée, humiliée, et il est parti les mains dans les poches en jurant qu'on ne l'y prendrait plus. 

Entre deux II


LA FILLE :

Alors c'est comme ça, il faudra s'y faire.

LE PERE :
Tu étais enfermée à la frontière. Entre deux pays, entre deux familles, tu étais en train de basculer d'un côté ou de l'autre, tu te serais fait mal, tu serais tombée, ou malade ou dans la misère, tu sais pas comment c'était, tu ne sais pas nous t'avons rattrapée juste à temps, tu ne sais pas.

LA FILLE :
Non je ne sais pas. Je ne saurai jamais quelle vie aurait été la mienne, qui j'aurais été s'il m'avait laissée à mes parents, si mes parents avaient voulu me garder, quels parents auraient-ils été.

LE PERE :
Est-ce que la question se pose seulement ? Quels parents auraient été tes parents s'ils n'avaient pas préféré te vendre à un inconnu et partir ? Comment tu aurais grandi, aurais-tu grandi et puis quoi, après ? Tu te serais sentie moins étrangère si tu étais restée auprès d'eux ?

LA FILLE :
Est-ce que je me serais sentie moins étrangère si j'étais restée entre eux deux ?

LE PERE :
C'est grâce à nous que tu es devenue cette femme-là, grâce à nous tu as fait des études.

LA FILLE :
Vois où on en est maintenant. Vois où tu en es maintenant, à toujours vouloir te sacrifier pour me prouver que tu m'aimes, nu, désolé et désemparé comme un personnage de Beckett, incapable de faire un pas pour te sortir de ta propre misère. Ça te va bien de jouer les héros.
Tu étais enfermé dans ton désir d'avoir un enfant, enfermé dans ta peur, enfermé dans ta honte, enfermé dans ton amour, et maintenant te voilà, te voilà encore, verrouillé dans le sacrifice. Et tu crois, tu crois toujours que c'est ce que je veux ? Tu crois que c'est d'un père comme ça que j'ai besoin ?

LE PERE :
Nous t'avons aimée. Nous t'aimons.

LA FILLE :
Ils m'aimaient aussi, qu'en sais-tu ?

LE PERE :
Ils t'ont vendue.

LA FILLE :
Tu m'as achetée.

LE PERE :
Nous avions plus à t'offrir.

LA FILLE :
Sans doute autant que ce que j'ai perdu.
Je leur en voulais. Il fallait bien que j'en veuille à quelqu'un, et ils étaient là, doux et souriants bras ouverts cœurs ouverts s'offrant pour que j'y frappe un grand coup. Ils me tenaient. On n'est jamais libre. On passe d'une cage à l'autre en plissant les yeux pour ne pas voir les barreaux, espérant seulement que la prochaine sera plus grande et que notre vue finira par se brouiller.
Il me tenait dans ses bras, main bien pressée contre mon dos pour que j'y reste. Et la mère qui disait doucement, c'est normal, tout ce qu'elle a vécu, cette petite, l'enfermement, la séparation, la peur, il faut la rassurer, lui dire qu'on est là, qu'on ne partira pas, qu'on ne la quittera pas, qu'on ne la lâchera pas, qu'on ne va pas l'abandonner.
J'ai pas peur. C'est pas moi, qui ai besoin d'eux. Ce sont eux qui avaient besoin de moi.
Et moi, j'ai pas peur. J'ai peur de rien. J'ai rien à perdre. Je ferai comme si j'avais rien à perdre. J'ai pas peur.


[Silence]

J'ai jamais eu peur. Quand j'écrivais, j'étais grisée par ma propre audace et heureuse. Parce que je savais que j'avais raison. Parce que je sentais mon courage et ma folie et çça me mettait en joie de me sentir comme ça, courageuse et folle et intelligente et libre de penser de dire d'agir !
C'est comme ça que je m'imaginais grandir. Comme ça que je voulais être quand j'étais petite. Une héroïne sans peur et sans passé. Un météore à qui tout le monde sourit. [Regard vers le père] Ce qu'on oublie trop souvent c'est que les météores finissent toujours par se fracasser.
Et qu'à la fin
c'est rien qu'un gros caillou.

lundi 22 avril 2019

Entre deux I

LE PERE :

Je l'aime.
C'est ma fille.
Elle était toute petite quand nous l'avons adoptée. Elle nous est venue d'un pays lointain, où le soleil omnipotent chauffe les corps et les cœurs. Quand elle est venue, elle brûlait encore de toute la chaleur qu'elle avait en réserve et qu'elle déversait en joie liquide tout autour d'elle. Je la bois en un long baiser, et à peine rassasié je la sens qui s'agite. Qui se libère de cet amour.
Elle se méfie même de mon amour.
C'est ma fille. Je l'aime. Même quand elle remue comme un fauve, quand elle explose sans crier gare et saigne, de la peur qu'elle a eue qu'on s'approche trop, qu'on l'attache, qu'on arrête sa course. Elle est ma fille, la voix vive qui traverse les murailles, les océans, les déserts. Je l'aime.
Elle est venue d'un pays en cage. Un pays longtemps blessé, qui réapprend à être libre, un pays debout dans le soleil. Un de ceux où des cons se sont autoproclamés colons.
Côlon. Avec un chapeau pour se protéger des UV.
Le côlon est un segment du gros intestin, dit Wikipédia. J'ai vérifié.
En vrai, ils sont plus bas que ça. 
D'où vient qu'on se permet de dire qu'un pays nous appartient ? 
Qu'une personne nous appartient ? [regard sur la jeune femme]
C'est quand même ma fille, parce que je l'aime.
Ces cons-là c'était nous. C'était mon pays, notre pays, votre pays, son pays. Car elle est d'ici, maintenant, je crois. Mais elle n'appartient à aucun pays. Peut-être elle nous en veut, pour ça. Parfois je crois qu'elle nous en veut. Elle rejette ce pays qui l'accueille, ces gens qui se sont dit que s'ils n'arrivaient pas à avoir un enfant à eux, ils n'avaient en fin de compte, qu'à aller en chercher un ailleurs. Elle a le mal d'un pays qu'elle ne connaît pas. Elle se dit d'une culture qu'elle apprend en touriste ou dans les livres et elle sait que rien ne prendra, rien n'y fera. C'est une femme qui n'a pas d'attache, une femme puissante et légère, qui vole au-dessus de ses deux pays, de ses deux cultures. 
Elle a bien compris que ce pays où je l'ai adoptée, lui, allait de travers. Elle a compris qu'il était un imposteur, derrière ses beaux discours, belles paroles derrière lesquelles tout le monde se range sans discuter et que personne ne comprend. Elle, de là où elle a toujours été, elle a compris ça. De sa voix vive elle se révolte. Elle écrit des pamphlets, des critiques affûtées qu'elle lance en visant juste. Elle est forte, ma fille. Tellement qu'un jour on vient frapper à la porte.
Il entre avec, à la main, l'un des petits livres qu'elle a publiés en secret, explique qu'il sait, qu'ils savent qui elle est, ce qu'elle fait, que ça ne peut pas se passer comme ça. 
- C'est moi qui l'ai écrit. 

L'HOMME : 

Pardon ? 

LE PERE : 
C'est moi qui ai écrit ce texte. Arrêtez-moi. 
C'est ma fille. Si je suis ici c'est parce que je l'aime. Je ne veux pas sortir, je ne sortirai pas, quand même je mourrai ici, alors c'est comme ça.

En costumière [savoir s'y prendre avec les personnages]

LA NARRATRICE :

C'est dans ma tête que ça se passe - ces mots on me les dit souvent - ça se passe dans ta tête.
Ils sont assis là à me regarder et réclamer encore un peu plus d'être là
à demander et vouloir savoir comment parler
quoi dire et quels gestes
où va-t-on
d'où on vient
qu'est-ce qu'il y a ici
pourquoi moi
pourquoi toi
qu'est-ce qu'on vit
est-ce qu'on vit ?...
certains assis
certains debout
certains qui dansent ou qui chantent avec leur tête inclinée ou en arrière leur tendance à s'étirer comme pour avoir plus d'espace ou à déborder grossir enfler jusqu'à ce que je n'aie plus d'autre choix que de les regarder de les voir et de sonder leur regard flou pour y chercher des réponses.
Pour leur donner leurs propres réponses à leurs propres questions.
J'assemble entre elles des tranches de vie comme des morceaux d'étoffe que je recueille au hasard des dialogues et des rencontres et je les habille avec ça.
Parfois ils m'en veulent, je sens bien qu'ils m'en veulent ou que ça les fait rire mais pas comme s'ils trouvaient ça drôle.
Pâles et froids ils vont et viennent dans ma tête en cercle en spirale en diagonale en riant en criant chantant pleurant jusqu'à ce que ça cède jusqu'à ce que les barrières s'écroulent et jusqu'à ce que je m'installe bien droite et attentive devant ce personnage mal fagoté et que je commence à tisser. A tisser mieux que ça, recoudre les accrocs, ajouter les manches, redessiner la silhouette en lui parlant de lui, pour qu'il sache, le personnage, qui il est.
C'est avec son visage qu'on découvre le vêtement. Avec sa voix aussi, si on le regarde avec attention mais alors, il faut que les autres se taisent pour qu'on puisse se concentrer sur celui-là, il faut que les autres cessent d'être là et d'attendre.
Elle, par exemple. Elle s'approche et je la regarde. Elle a déjà une manière toute à elle de bouger et d'attendre, elle écoute comme aucun autre personnage n'écoute, sa voix froisse l'air comme aucune autre voix. Si je me concentre sur elle jusqu'à m'oublier tout à fait, je vais finir par savoir exactement de quelles étoffes son vêtement sera fait et quelle forme lui donner, quels accessoires.
Et c'est seulement quand elle sera prête qu'elle sortira.
Elle nous guidera loin dans sa vie que même moi je ne connais pas, que je découvre avec vous. Il faut l'écouter. Elle parle toute seule, ce n'est pas moi qui parle. C'est le personnage.

[suite ici]

samedi 20 avril 2019

Murs II


LUCE
je me rappelle ma mère qui entre dans ma chambre pour ouvrir ma fenêtre et mes volets pousser mes livres et ça me dérange mais je ne dis rien
ça me dérange quand elle partira que je refermerai la fenêtre et les volets et remettrai les livres en place et il me faudra quelques temps pour me sentir à nouveau bien
oublier qu'il y a l'extérieur
oublier l'extérieur et le bruit des rues et le soleil qui s'invite dans ma chambre par les fentes des volets alors même que j'ai jamais voulu qu'il entre
lui
elle dit

LA MERE :
c'est le printemps
il faut sortir
prendre l'air –

LUCE
j'en veux pas de son air
c'est le printemps et moi je déambule dans la même chambre toujours
le soleil peint verts et bleues
les arbres et les fleurs
sans hésiter
sans penser l'équilibre des couleurs
ni la place des verticales
le soleil veut me peindre moi aussi
mais moi je ne veux pas !

je me rappelle c'était un printemps comme celui-là
j'étais sortie parce que
elle m'a dit

LA MERE :
ça te fera du bien –

LUCE:
et il était là [entre un personnage qui la séduit]
ses yeux brillaient
en moi s'ouvraient les pétales cramoisis d'une fièvre toujours close
ses mains volaient comme deux oiseaux autour de lui –

va-t'en
j'en veux pas
de tes étoiles
je veux pas
de tes fleurs
ni de tes oiseaux
laisse-moi
tes fleurs plantent leurs dards dans mes doigts
tes étoiles clignotent comme de vieilles lampes de poche
tes oiseaux tu les lances en les tirant par les ailes avec leurs
pattes mal vissées becs bien
taillés
aiguisés bien
visé tu as ça en toi
toute une volière d'oiseaux débiles
que tu alimentes en secret tu en as d'autres je le sais ils sont pas tous gentils et beaux tu crois que j'en veux de tes oiseaux ?

mais j'en suis un moi et un plus vaste que tous les pourris que tu fermes en toi fermés à clé et tu es tellement occupé à les nourrir que tu ne m'as pas vue filer rapide raser le sol tout droit jusqu'aux falaises qui s'effritent me jeter très loin au-dessus des vagues et de l'immense et du bleu

je ne pense pas vouloir sortir
je pense que je suis bien ici
je peux bien rester ici

PERSONNAGE 1:
il faut que tu sortes

LUCE:
on est bien
ici
toi et moi
et les autres

PERSONNAGE 2 :
Ici rien n'est vrai
rien n'est réel

LUCE :
ici tout est vrai
tout est réel
et ça ne fait pas mal de rester ici

PERSONNAGE 3 :
ça te fait mal de rester ici

LUCE [à la narratrice] :
tu n'es pas obligée de raconter mon histoire pour me faire sortir
tu n'es pas obligée de raconter une histoire
je ne veux pas savoir la suite
je ne veux pas savoir ce qu'il s'est vraiment passé
de toute façon tu mentirais
tu mens tout le temps
tu triches
tu t'arranges pour que ce soit beau
pour que ce soit cohérent
pour que tout le monde comprenne
mais c'est pas comme ça
la vérité
est ailleurs
et je vais rester là pour te le rappeler
ça va être ça
mon rôle
te dire tous les jours à quel point tu mens



mercredi 17 avril 2019

Murs I


Ce qu'il faut faire pour que les murs éclatent, c'est recouvrir ces murs de couleur, trembler le pinceau dans la lumière des projecteurs et y dessiner la foule lavée du bruit et de la poussière. Des images bleues, des figures sans visages, îles pendues au dessus d'un océan écarlate. Ce qu'il faut faire pour que les murs éclatent, y tatouer, là, sur le gris du mur, un bateau et s'y hisser. Là, peindre un pays si grand qu'on pourra s'y perdre, tracer des chemins de pierre et des sentiers de sable, des routes traversantes et des ponts pour enjamber les fleuves et les vallées. Ici, prolonger le sol en un rebord de falaise et le vent qui souffle dérange la couleur. Ma maison debout tout contre la mer. De grandes fenêtres sans vitre, et de temps en temps la marée monte jusqu'au delà des fenêtres, au-dessus du toit, jusqu'à ce qu'on ne voie plus qu'un mur d'eau en face de nous, mais les vagues restent à distance, elles ne s'engouffrent pas par les fenêtres. On ne sent pas l'odeur de la mer.

mardi 16 avril 2019

Trois par trois [Images de départ]


Construire sa maison de cailloux
mais veiller au tigre
qui vit déjà dessous.

Dans chaque maison habite un tigre
ils se penchent en chœur par leur fenêtre
pour me voir passer.

Une foule ahurie se déplace vers la même direction
ils ont à la place des yeux
les globes bleus et verts qui terminent les plumes de paon.

J'ai fait en terre un enfant mort
il est bien trop plat et ses habits trop grands
j'ai fait en terre un enfant mort.

Pendant que l'autre égrène ses succès
et que l'odeur se répand
je me donne un coup de marteau sur le doigt qui se brise comme du verre.

Forcés par le bêtes à nous barricader dans des couloirs et à attendre
que viennent à coups de feu les secours
et le sang se disperse en fourmis visqueuses qui passent sous la porte close. 

Une femme berce un enfant malade et lui injecte
dans la peau des crayons de couleur
au lieu des médicaments prescrits.

Une institutrice dans une salle de classe aux lambris roses
pleure doucement
avec des lampes brisées qui jonchent le sol.

Dans le mouvement des autres et la tempête
tu m'embrasses les paupières
et le visage palpite.

Il s'approche de moi
sa joue contre ma joue lourde et je le porte
comme un excroissance.