jeudi 22 avril 2021

A partir de maintenant, tout est vrai


Je me réveille un matin, j'ai fait quelques rêves, après la lecture tardive d'articles traitant du dérèglement climatique, toutes sources confondues, médias nationaux ou alternatifs. Mais quand je me réveille ce matin, il n'en reste déjà que la buée – on s'habitue à tout.

Peu à peu, au fil du matin, cette buée prend la forme d'une question. 

Et si la situation empirait ? 

Si plutôt qu'une sortie, ce n'était qu'un répit qui nous attendait cet été ? 

Si plus rien de ne redevenait comme avant, parce que les dégâts causés aux humains, aux forêts, aux océans, au système lui-même dans lequel nous sommes empêtrés, étaient irrémédiables. 

Je veux bien que tout redevienne comme avant parce que je m'y trouve pas mal, moi, dans ce système. Je sais jouer. J'en connais à peu près les règles.

Ce n'est pas comme si, ces questions-là, je ne me les étais jamais posées. Ni comme si je n'en avais jamais pris la mesure. Mais j'oublie. Régulièrement je me rappelle et puis j'oublie. Je ne l'ai certainement toujours pas prise complètement, à cause de l'effroi qu'apporte cette prise de conscience. Ce même effroi qui empêche nombre d'entre nous de s'intéresser aux dégâts environnementaux causés par chacun de nos gestes. 

S'il nous fallait changer profondément notre manière de vivre ? Pas plus tard, pas dans un an, mais tout de suite ? 

Si tous nos problèmes actuels, notre avancement dans notre carrière, l'appartement qu'on veut acheter, nos problèmes relationnels, sentimentaux, nos projets pour l'été, notre ego qui réclame encore un peu plus d'attention, si tout cela n'était que de faux problèmes ? 

Si on les avait inventés, dans une sorte de fiction collective à laquelle chacun croit plus ou moins, et qui nous embarque ? 

On sait. On a regardé Matrix. On connait l'histoire de la caverne de Platon. C'est intéressant. Et cependant on oublie.

Si tout cela n'avait pas plus de réalité qu'un mauvais jeu de société ?

On agit tous les jours, on a plein de choses à faire, on oublie que chaque acte a un impact parce qu'on n'a pas le temps d'y penser, et puis qu'est-ce qu'on y peut, c'est comme ça que va la vie, c'est comme ça qu'on a appris, on pense à soi, un peu à ceux qui nous entourent et ça suffit. Et que dire de ce qui nous entoure ? Il faut avoir le temps pour ça, qui a du temps ? Le temps c'est précieux, il faut bien l'occuper.

Mais le monde est fragile, il est blessé, il part en fumée et se noie juste après, il a des limites, il nous porte et ne nous supporte plus.

A partir de maintenant on ne doit plus perdre une minute à faire autre chose que des actes de guérison.

A partir de maintenant on ne doit plus vivre en ne pensant qu'à soi. A partir de maintenant on ne peut plus être isolé, parce qu'on n'a jamais pu l'être, parce qu'en vérité nous sommes tous connectés. A partir de maintenant il va falloir se parler et essayer de se comprendre, parce que sans ça on est séparés et réduits à poser des actes fragiles et inefficaces. A partir de maintenant il va falloir s'accepter, s'aider, s'écouter, et faire en sorte que chacun exploite autre chose que les ressources limitées de la planète : ses potentialités, ses forces, ses intelligences. 

Si à partir de maintenant, tout est vrai, alors nous cesserons de gaspiller notre énergie dans une activité qui parfois n'a de sens que pour les investisseurs, qui nous dévore, nous frustre, nous prive de nos joies, qui est complexe, tellement qu'on rentre tard le soir, qu'on n'en dort pas la nuit, qu'on se lève tôt le matin, mais à quoi ça sert de faire tout ça ? on oublie qu'on est un corps qui souffre, qui sent, qui se déplace, on oublie son poids dans l'espace, on ne voit pas ce qu'il se passe autour, ni les oiseaux, ni les arbres en métamorphose, ni l'écureuil qui nous regarde, on ne sait plus ce que c'est qu'aimer, on croit pouvoir s'en passer, on n'a pas de temps pour la poésie, on croit que passer du temps avec nos proches c'est perdre son temps.

A partir de maintenant, tout est vrai. Et on n'a plus le droit de dire, c'est ma, mon chef qui veut ça, ce sont mes parents qui ont dit, c'est la société qui m'y pousse. A partir de maintenant chaque acte que tu poses est important et tu es consciente, conscient de l'impact qu'il a sur toute chose, humaine ou non humaine, vivante ou non vivante, autour de toi, et en toi. Tu prends conscience de sa résonance. 

A partir de maintenant, tout est là. Toi aussi tu es là. Tu n'es pas là par hasard. Tu as ta place dans ce monde. Nous avons besoin de toi. Nous avons besoin de toute ton énergie. Nous avons besoin que tu te sentes bien, que tu sois en paix, que tu n'aies pas peur du regard des autres, ni de tes émotions, que tu prennes soin de toi, que tu t'acceptes, que tu t'exprimes sans te juger, sans juger, que tu sois douce, sois doux avec toi-même, pour l'être avec les autres. 

Reprenant les paroles de son père, Nancy Huston écrit Je suis parce que nous sommes. Rien ne se fera si on reste enfermé chez soi et qu'on attend. 

On est tous en manque d'attention. Les vivants sont en manque d'attention. Les arbres, les insectes, les animaux, les poissons, les pierres, les humains, les plantes, les vers de terre sont en manque d'attention. 

Et pour combler ce vide, faisons-nous l'effort, même maladroit, de donner ? ou attendons-nous d'en recevoir avant de se considérer capable d'en donner ? 

Qu'avons-nous à donner ? 

Qu'est-ce qui nous empêche de donner ?

A partir de maintenant, tout est vrai. 

On a perdu assez de temps à jouer à un jeu qui nous fait du mal, alors levons les yeux du plateau et regardons-nous. Regardons. 

Par rapport aux pions qui nous représentent, ne sommes-nous pas plus grands, plus beaux, plus souples, plus touchants, plus complexes, plus différents, plus mobiles, plus surprenants, plus riches enfin, que des pions de monopoly ? 






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