C’était une fois
quand la petite fille bleue désirait en hiver aller sur le quai, elle a demandé
au petit jeune homme de l’accompagner.
D’accord on va
sur le quai, on va voir les étoiles et les péniches en hiver couvertes de givre
cristallisées, les péniches bleues qui brillent dans la nuit comme des étoiles
basses qui ont froid se recroquevillent. Oui je sais ça tangue un peu, viens
voir si tu t’allonges ainsi sur le dos, c’est drôle car le plancher balance et
l’on ne voit plus que les étoiles suspendues au ciel dont jaillissent des
flammes et qui tanguent et qui tanguent au point qu’on a l’impression que des
vagues roulent aussi dans le ciel autour de grandes étoiles blanches, elles
deviennent comme de grosses bulles de savons qui vont éclater, mais il fait
froid ce soir et elles sont immobiles, les étoiles au milieu de la houle du
ciel, elles demeurent immobiles et comme repliées sur elles-mêmes tant elles
ont froid cette nuit.
Et dans l’eau
ils ont l’air d’êtres tombés ces globes immobiles, ils flottent immobiles
repliés sur eux-mêmes sous la surface de l’eau et pendant qu’ils flottent on
entend çà et là des éclats de voix qui jaillissent. Alors le petit jeune homme
dit c’est que sans doute la tête d’Orphée rôde quelque part, et la petite fille
bleue le corrige parce qu’elle a vu une étoile bouger sous l’eau, elle dit la
tête d’Orphée ? Tu veux dire les yeux d’Orphée sont séparés en des milliers de
lumières, chantent encore la voix, le visage, la présence d’Eurydice
décomposée.
Mais tu vois
bien qu’il fait froid, qu’il fait si froid ce soir on est en fait sur ce lac
gelé sur ce navire cloué dans la glace, ce pont glacé et elles aussi sont glacées,
les paroles gelées, et si j’en ramasse une et que dans mes mains je la
réchauffe elle éclate, s'échappe le mot qui a gelé à peine prononcé, mais tu
sais, ce sont les paroles des marins pris dans la glace, des marins dont le
souffle, les cris de jubilation de désolation les petits mots enneigés ont gelé
et sont tombés à pic dans la mer et ont dérivé lentement jusqu’à ce qu’on les
réchauffe. Ils ont gelé comme des oisillons qui quand ils décident de s'envoler
le décident au cœur de l'hiver et gèlent sur place et tombent à pic en pensant
qu‘ils auraient mieux fait de rester au chaud dans leur nid cette fois-ci, sont
devenus presque bleus et n’ont pu s’envoler. Ainsi vois-tu si tu plonges un peu
ta main dans l’eau froide pâle tu trouves une parole-globe et dans ta main
chaude si tu la serres un peu à ton oreille tu peux écouter comme elle
s’envole, comme elle éclate tout d’un coup sonore. Là ce sont de petits mots
timides et doux dis dans la nuit calme et surpris qui ne pensaient pas qu’une
nuit si claire fût si froide. Parfois ce sont des élancements de joie, ces
pleurs, et ces mots qu’on lance à tort et à travers, ces erreurs grossières
glacées d’effroi en s’entendant elles-mêmes sans doute mais qui, dites ainsi,
si longtemps après, si loin de l’objet de la dispute, n’ont plus rien à
redouter, ne sont plus que des mots insensés, et s’envolent comme les autres,
ces mots qui sursautent quand ils fondent et se réchauffent, bien heureux
d'atteindre enfin des oreilles.
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