Le
dos courbé la démarche qui balance et l’arrosoir. J'ai croisé cette
femme, je ne l'ai pas bien regardée. Dans ma tête bondissent délicats
les arpèges bien connus d'une harpe. Je prends ce pli dans l'allée sous
les arbres, mon vélo tout terreux changer de vitesse je pédale en
danseuse. Je connais bien le chemin, j'y retourne souvent, je n'y vois
pas grand chose et Bachar Al Assad a reçu une formation à Londres, une
formation de médecin ophtalmologiste, vous savez la meilleure ? une
formation de médecin ophtalmologiste et je continue une poussée de la
hanche sur la pédale de mon vélo les feuilles fines des arbres maigres
claquent au vent, elles claquent l'une contre l'autre elles rencontrent
des ramilles, d'autres feuilles elles ne savent plus si c'est leur
ramille ou celles d'une autre elles se rencontrent et claquent entre
elles doucement comme on claque des doigts on entend à peine bondissent
les doigts, le bout des doigts sur la harpe sans se soucier du pourquoi
du comment ni même des faits de rien bondissent joyeusement petit oiseau
sur les branches d'un cerisier vient picorer, abîmer, blesser la chair
ronde et rouge, le fruit du printemps, ce printemps de Damas qui n'en
finit pas de rougir, déjà c'est l'été, rouges, et rouges encore les
cerises écorchées par les coups de l'oiseau tombent une à une du grand
cerisier. Les cris d’enfants le masque de la petite fille sage se
retourne un temps son pied plonge allègrement dans la boue de l’allée.
Une catastrophe ferroviaire, un enfant couvert de sang ce n'était pas
son sang, six morts, on commence seulement à soulever le wagon renversé
pour vérifier qu'il n'y a pas de victimes là-dessous, s'il n'y a pas de
victimes là-dessous. Allez viens, si c'est comme ça, on va déménager, on
ira là où c'est plus calme, un million huit cents mille réfugiés
syriens ça fait combien en vérité un million huit cents mille, aller
ailleurs, là où il n'y a pas de morts qui courent les rues, quelle
misère, ces fantômes qui hantent la ville, ces inconnus de Homs si
bruyants malgré les fumées, les silences, j'en aurais le vertige, j'en
aurais un frisson, heureusement les accords de la harpe insensés galopent au fond dans mes idées, heureusement les arpèges et la
douceur des bonds, heureusement rien qu'un coup de la hanche un
déploiement du genou et je suis ailleurs. Abattre les arbres à la
tronçonneuse les rassembler en une montagne d’en haut voir ce qui se
cachait sous eux, il faudra bien un jour relever les wagons, mais ma
petite fille sage ne sait rien de tout cela, ma vieille, concentrée sur
son arrosoir, ma petite fille sage, ses trois pièces tièdes dans sa main
moite, aussi touchée que si on lui avait raconté une histoire pour
l'endormir, intéressée trois minutes ou trois secondes. Dans sa course
elle pense vaguement au petit Syrien qui passait à la télé et elle court
et bondit, légère et fine comme le bout des doigts sur la harpe.
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