A ce moment je cours encore, je suis tendue comme la corde de l'arc, qui
vibre encore, qui vibre entière, à ce moment je m'en souviens j'ai pris la
fuite, ça finit par faire mal, et dans les pieds, et dans les pierres très
dures plantées dans les pieds, et dans le cœur, le cœur très lourd le cœur trop
lent qui tire sur les artères et se gonfle de mon sang, et dans les joues, les
yeux qui piquent, la chaleur à mon visage, l'air qui passe à travers le visage,
le cœur qui pompe et palpite - il aura aspiré toute la chair du visage -, je
sens ce vide à travers le visage, ce visage qui se crispe et se dessèche, il
aura bien tôt fait de mettre un terme à cette course, celui-là, me permettre un
peu de reposer, je ne suis faite que de fibres, je ne suis qu'artères et
veines, tout circule en moi, tout me traverse jusqu'au bout des doigts, les
fines veines qui circulent comme des ruisseaux jusqu'au bout avec un bruit très
doux, ces veines tant timides et craintives sont les premières à se retirer les
jours de grand froid, les premières à s'en retourner, les premières à crier
qu'il fait froid, j'ai les mêmes aux pieds, aux oreilles et à la pointe du nez,
eh bien ces veines au bout des doigts, je les sens qui pompées tout d'un coup
par ce cœur-là l'affamé commencent à ralentir, commencent à se figer, et c'est
difficile de courir à présent c'est difficile, je suis fibreuse à l'extrême, je
sens les veines qui sortent de ma chair et qui profitent de l'instant où
courant encore je pose le pied à terre, je pose le pied à terre dans un
mouvement encore rapide, je n'ai pas l'intention de m'arrêter là, je ne veux
pas, et d'un coup surgissent ces veines de la chair pour se plonger dans la
terre, s'y attacher toutes sèches qu'elles sont, et je crois courir encore, je
préférerais courir encore maintenant que je suis sèche, je préférerais courir
et même sentir ce cœur-là qui pompe et travaille, qui allonge et alourdit, me
plonge dans la terre, me jette au ciel, détache un a un chaque cheveu amplifié
alourdi éclaté en mille feuilles mille visages étrangers tournés vers les
nuages, et même mes yeux s'assèchent et durcissent, des yeux qui ne sont plus
que deux nœuds dans l'écorce, j'aurais voulu encore voir un peu, juste un peu,
j'aurais voulu entendre plus longtemps ce cœur qui pompe et gonfle, qu'il me
laisse un peu plus que la vie absente des lauriers.
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