La
table de travail. Pourquoi n'y en aurait-il qu'une ? Et ces innombrables tables des
bibliothèques, des médiathèques, la salle étroite au fond du
couloir du collège de Noyant où personne n'allait j'allais à
l'accueil je demandais la clé à j'avais mon sac à ordinateur sur
l'épaule et beaucoup de temps avant le prochain cours.
Ma table est changeante et vagabonde – il y avait une
table que j'aimais sur le campus de l'université de Belle Beille il
y avait une table une table immense telle que quand tu t'y assois tes
jambes ne touchent pas le sol mes jambes ne touchaient pas le sol par
conséquent il y a ces petites chaussures que j'aime bien même je
rachète les mêmes quand elles sont foutues petites chaussures qui
tombent et je les laisse tomber faisant mine que je m'en rends pas
compte alors que c'est pas vrai que j'ai l'habitude que j'attends que
ça qu'elles tombent que j'en fais même un peu exprès juste pour
sentir le vent qui souffle j'aime pas tout à fait avoir les pieds
enfermés tout le temps et je redeviens petite fille à la grande
table toute vide mais plus maintenant maintenant que j'y suis et je
commence je commence par effleurer les fissures qui font de la table
un pays traversé de crevasses et de gouffres table itinérante c'est
ça ma table de travail même si j'ai pas l'impression d'y travailler
mais bon une table où on se hisse avec un peu de peine quand même
et qui nous fait nous rappeler ce que c'est que d'être enfant cette
table elle avait pas tous ses pieds qui touchaient le sol ou alors
c'est le sol qu'était pas droit ou les deux et les étudiants
l'emmenaient où ils voulaient là où ils étaient bien à l'ombre
au soleil sous les arbres aux quatre coins du campus si bien que
parfois je voulais bien m'y asseoir mais je savais pas où elle était
cette table c'est ma table de travail moi j'ai pas de maison pas de bureau qui soit vraiment à moi – je loue des
meublés et rarement plus d'un an le même meublé c'est dire que
j'ai bien du mal à la décrire ma table de travail c'est pas la
table qu'il faut décrire c'est pas la table c'est le sac encore que
lui aussi c'est pas toujours le même c'est pas toujours seulement le
sac à ordinateur encore que parfois j'en ai deux parce que je
trimballe des livres des livres qui sont pas tous numérisés comme
par hasard c'est ceux-là qui m'intéressent il y a sac à dos sac à
ordinateur en bandoulière un à
droite un à gauche pour tous les carnets où il y a des fragments
des notes à partir de quoi ça commence à écrire – il y en a
quand ils parlent et qu'on prend des notes c'est comme un poème –
je pars en voyage il y a des crayons de toutes sortes souvent je vous
avoue des crayons qui sont même pas à moi que je me souviens à
peine si c'est à un collègue ou à un élève que je l'ai piqué
mon préféré en ce moment c'est un crayon six couleurs qui se
voient à peine le genre rose orange turquoise et vert pâle mais
heureusement y a couleurs qui se voient bien normal bleu foncé noir
mais celui-là je le perds moins souvent je l'ai pas encore perdu
parce qu'il est plus épais que les autres et j'ai pas besoin de le
gratter à la semelle d'une chaussure ou sur le bois de la table pour
lui rappeler comment il faut faire pour écrire il démarre au quart
de tour il y en a d'autres qui sont cassés mordillés certains qu'on
m'a donnés que j'ai toujours pas perdus et puis ces petits bleus que
j'achète par quatre que je laisse trainer partout trois mois plus
tard il faut en racheter les crayons disparaissent de mon sac de
travail parfois le seul qui reste c'est le rouge pourquoi il y en a
toujours un rouge qui reste je m'en fiche du crayon tant qu'il me
dérange pas le rouge ça me dérange un tout petit peu le vert non
mais le rouge... pas que des crayons des livres aussi j'en ai déjà
parlé mais je vais en reparler des livres que j'ouvre même pas en
plus ceux-là qui ont des mélodies singulières que j'ai besoin
d'avoir avec moi pour me rappeler – pas de leur véritable mélodie
pas de la vraie mais de celle que je leur ai prêtée avec le temps
mélodies imaginaires que je cherche à retrouver parfois je parle de celle
qu'il y a dans ma tête il y a des lunettes un agenda pour rien pour
gribouiller ce petit carnet rouge bousillé que j'emporte toujours
avec moi et le chargeur et l'ordinateur. Il faut du silence à la table à
écrire, sinon, ça va pas. Il faut même pas de table, un lit, ça
suffit, parfois j'ai même une table et j'écris sur le lit.
Il n'y a pas de table de travail. Qu'un sac et du
silence.
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