Sortie
de métro. Arrêt Vieux Port. Palais de la Bourse. Le cherchais tout
justement et tout de même surprise de me trouver, tout d'un coup, devant
: le corps de Pythéas haut perché et héroïsé par un sculpteur
dix-neuvième siècle. Photo. Il est 9h34 du matin. Un jeune homme blond
dort par terre, tête contre le mur du palais, avec sa chemise bleue
impeccable et son pantalon noir, un bras sous la tête pour lui servir
d'oreiller. Il tourne le dos à la foule et je guette, pour saisir, sous
le tissu de la chemise, le mouvement d'une poitrine qui respire. Je ne
la vois pas bougé ou peut-être c'est le vent. Un homme s'approche de lui
et lui prend l'épaule. Il relève la tête.
Je cherche.
Pythéas
a deux visages. Son visage d'aventurier du palais de la Bourse, dur et
déterminé, plisse à peine les yeux dans le vent qu'il prend de pleine
face, qui plaque sur lui l'étoffe lourde qui le protège du froid. Et son
visage de vieux barbu de la place de Lenche, là où s'étalait l'agora de
la cité grecque – photo – qu'on pourrait confondre avec n'importe quel
autre vieux barbu respectable Ulysse, Homère ou Poseidon. Une image de
l'homme qui part, une de celui qui est revenu.
Je cherche.
Montée
du Saint-Esprit qui serpente près d'un écrasant Hôtel Dieu
Intercontinental. Des marches longues, murs à tags d'un côté, façades de
maisons caillouteuses et ruelles artistes d'un autre. Côté tag, une
phrase chante en noir "j'en ai laissé des plumes à t'aimer pendant des
plombes".
Quartier du Panier. On peint les façades de fresques, de
tags aux couleurs éclatantes. Les pigeons ne s'émeuvent pas des
touristes. Les moineaux non plus, qui viennent picorer à même
l'assiette. Les rues sont encombrées de plantes bariolées et farfelues,
tropicales, sauvages.
Place de la Charité, calme ce soir.
Seulement les voix des gens et des oiseaux et le bruit des voitures sur
le pavé. Les boutiques sont encore ouvertes. Elles exposent des
chapeaux de pailles, sacs en tissu africain et robes légères qui battent
les cuisses d'un mannequin sans tête. Banc sur la place. Fontaine sans
eau, peuplée de pigeons qui vaquent à leurs affaires, certains en
hauteur sur les bords de la fontaine en plein meeting politique avec les
autres qui les regardent ou se désintéressent, ayant mieux à faire, et
ce couple, à l'écart, celui-là qui se rengorge et tourne autour de la
belle, qui se tourne et se détourne et accélère et piquant l'espace vide
devant elle, finit pas s'envoler, suivie de près par l'emplumé qui ne
doute de rien, persuadé qu'elle le fuit pour lui plaire. Des pigeons ou
des hommes... Les pigeons à Massalia, y en a, y en a pas, comment
sont-ils ? Comme ici, ignorés, singeant les hommes ? apprivoisés,
pigeons postaux ? mangés, pigeon en sauce ? lépreux, boitant sur des
moignons de pattes roses, comme à Paris ? Paris, jardin des Tuileries,
il y en a toujours un ou une qui en tient plusieurs, des pigeons, dans
sa main ou sur sa tête et dont il parle la langue.
Penser un jour à écrire une histoire du pigeon.
Je
cherche le théâtre. Je tourne longtemps autour de l'endroit où tous les
indices s'accordent à dire qu'il est quelque part par là. Je ne vois
qu'un espace creusé et circulaire où sont plantés des arbres et des
immeubles. Je me dis ce serait l'emplacement idéal pour le théâtre que
j'ai vu sur la maquette du musée du vieux port. Je compare plusieurs
fois la carte de Marseille de l'office de tourisme et la maquette du
musée que j'ai prise en photo sous tous les angles. Salvatrice, qui
représente avec autant de justesse que possible la Massalia de Pythéas.
Les
voitures circulent doucement. Elles sont habituées aux touristes perdus
dans les hauteurs ou leurs pensées et qui ne regardent pas avant de
traverser.
Je cherche.
Place
des Moulins, pas de moulin. Y avait-il un temple ici, si c'est celui
d'Artémis d'Ephèse, avec la statue de la déesse aux mille mamelles, ou
Apollon Delphinos ou d'Athéna Polias je me perds dans tout ça. Mais la
place est dallée et ombragée de tilleuls et de robiniers, de platanes.
Deux musiciens accordent leurs instruments sur un air dansant. Une femme
blonde, lunettes de soleil et T-shirt noir clamant fort "Libérez-nous
du mâle" fume en surveillant l'air morne ses deux yorkshires qui se
courent après. Des enfants jouent dans une piscine gonflable d'un bleu
plastique placée juste sous un jet d'eau. On entend leurs voix sous les
accents de la flûte. Un gros homme traverse tranquillement la place, une
pochette sous le bras, promenant sa chemise rouge à carreaux avec des
airs de propriétaire. Un couple qui se tient la main en silence. Quatre
femmes en robes et blouses à fleurs. Les musiciens s'arrêtent, fument et
discutent. On prend des photos avec un smartphone rose à paillettes.
Je
cherche le temple sous les fondations de l'église Saint Laurent -
Artémis d'Ephèse, Apollon Delphinos, Athéna Polias... impossible de
faire même le tour de l'église. Bon. Du haut de la butte Saint-Laurent,
je prends la vue en photo. La mer est bleue encadrée de collines, de
buissons et de pierres blanches.
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