lundi 24 août 2020

Des pigeons et des hommes

 
 Sortie de métro. Arrêt Vieux Port. Palais de la Bourse. Le cherchais tout justement et tout de même surprise de me trouver, tout d'un coup, devant : le corps de Pythéas haut perché et héroïsé par un sculpteur dix-neuvième siècle. Photo. Il est 9h34 du matin. Un jeune homme blond dort par terre, tête contre le mur du palais, avec sa chemise bleue impeccable et son pantalon noir, un bras sous la tête pour lui servir d'oreiller. Il tourne le dos à la foule et je guette, pour saisir, sous le tissu de la chemise, le mouvement d'une poitrine qui respire. Je ne la vois pas bougé ou peut-être c'est le vent. Un homme s'approche de lui et lui prend l'épaule. Il relève la tête. 
Je cherche.
Pythéas a deux visages. Son visage d'aventurier du palais de la Bourse, dur et déterminé, plisse à peine les yeux dans le vent qu'il prend de pleine face, qui plaque sur lui l'étoffe lourde qui le protège du froid. Et son visage de vieux barbu de la place de Lenche, là où s'étalait l'agora de la cité grecque – photo – qu'on pourrait confondre avec n'importe quel autre vieux barbu respectable Ulysse, Homère ou Poseidon. Une image de l'homme qui part, une de celui qui est revenu.
Je cherche.
Montée du Saint-Esprit qui serpente près d'un écrasant Hôtel Dieu Intercontinental. Des marches longues, murs à tags d'un côté, façades de maisons caillouteuses et ruelles artistes d'un autre. Côté tag, une phrase chante en noir "j'en ai laissé des plumes à t'aimer pendant des plombes".
Quartier du Panier. On peint les façades de fresques, de tags aux couleurs éclatantes. Les pigeons ne s'émeuvent pas des touristes. Les moineaux non plus, qui viennent picorer à même l'assiette. Les rues sont encombrées de plantes bariolées et farfelues, tropicales, sauvages.
Place de la Charité, calme ce soir. Seulement les voix des gens et des oiseaux et le bruit des voitures  sur le pavé. Les boutiques sont encore ouvertes. Elles exposent des chapeaux de pailles, sacs en tissu africain et robes légères qui battent les cuisses d'un mannequin sans tête. Banc sur la place. Fontaine sans eau, peuplée de pigeons qui vaquent à leurs affaires, certains en hauteur sur les bords de la fontaine en plein meeting politique avec les autres qui les regardent ou se désintéressent, ayant  mieux à faire, et ce couple, à l'écart, celui-là qui se rengorge et tourne autour de la belle, qui se tourne et se détourne et accélère et piquant l'espace vide devant elle, finit pas s'envoler, suivie de près par l'emplumé qui ne doute de rien, persuadé qu'elle le fuit pour lui plaire. Des pigeons ou des hommes... Les pigeons à Massalia, y en a, y en a pas, comment sont-ils ? Comme ici, ignorés, singeant les hommes ? apprivoisés, pigeons postaux ? mangés, pigeon en sauce ? lépreux, boitant sur des moignons de pattes roses, comme à Paris ? Paris, jardin des Tuileries, il y en a toujours un ou une qui en tient plusieurs, des pigeons, dans sa main ou sur sa tête et dont il parle la langue.
Penser un jour à écrire une histoire du pigeon.
Je cherche le théâtre. Je tourne longtemps autour de l'endroit où tous les indices s'accordent à dire qu'il est quelque part par là. Je ne vois qu'un espace creusé et circulaire où sont plantés des arbres et des immeubles. Je me dis ce serait l'emplacement idéal pour le théâtre que j'ai vu sur la maquette du musée du vieux port. Je compare plusieurs fois la carte de Marseille de l'office de tourisme et la maquette du musée que j'ai prise en photo sous tous les angles. Salvatrice, qui représente avec autant de justesse que possible la Massalia de Pythéas.
Les voitures circulent doucement. Elles sont habituées aux touristes perdus dans les hauteurs ou leurs pensées et qui ne regardent pas avant de traverser. 

Je cherche.
Place des Moulins, pas de moulin. Y avait-il un temple ici, si c'est celui d'Artémis d'Ephèse, avec la statue de la déesse aux mille mamelles, ou Apollon Delphinos ou d'Athéna Polias je me perds dans tout ça. Mais la place est dallée et ombragée de tilleuls et de robiniers, de platanes. Deux musiciens accordent leurs instruments sur un air dansant. Une femme blonde, lunettes de soleil et T-shirt noir clamant fort "Libérez-nous du mâle" fume en surveillant l'air morne ses deux yorkshires qui se courent après. Des enfants jouent dans une piscine gonflable d'un bleu plastique placée juste sous un jet d'eau. On entend leurs voix sous les accents de la flûte. Un gros homme traverse tranquillement la place, une pochette sous le bras, promenant sa chemise rouge à carreaux avec des airs de propriétaire. Un couple qui se tient la main en silence. Quatre femmes en robes et blouses à fleurs. Les musiciens s'arrêtent, fument et discutent. On prend des photos avec un smartphone rose à paillettes.
Je cherche le temple sous les fondations de l'église Saint Laurent - Artémis d'Ephèse, Apollon Delphinos, Athéna Polias... impossible de faire même le tour de l'église. Bon. Du haut de la butte Saint-Laurent, je prends la vue en photo. La mer est bleue encadrée de collines, de buissons et de pierres blanches.

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