samedi 12 décembre 2020

Un très petit geste d'immortalité

Chemin pierreux, herbes s'accrochent aux pieds du marcheur, vertes et jaunes par endroits. Pluie terrible et infatigable, comme un coureur de fond à petites foulées, gouttelettes fines et rapides comme des couteaux. Vent qui cisaille et la mer qu'on entend qu'on imagine avec des lames comme des montagnes, mais le chemin est tranquille. Personne alentour juste ce petit bonhomme marchant rapide tête enfouie, rétrécie, et muscles tendus comme pour s'assurer qu'elle prend le moins de place possible dans le vêtement pour éviter les coups de la pluie. S'avance avec ce pas comme celui d'un Parisien dans le métro frayant entre travailleurs pressés et les assauts de la misère. Froncement du regard, de celui qui croit savoir ou fait croire qu'il sait précisément où il va et pour quoi. Avec cette marche-là il déplie ce chemin de pierres noires et d'herbes longues qu'il n'a jamais foulé. La pluie l'accompagne et le vent le pousse comme pour jouer et puis il s'arrête. 

Il s'est arrêté tourné non pas vers le bout du chemin mais le côté des pierres.

Des pierres rondes et polies s'il se voyait lui-même il verrait ses muscles se détendre un à un d'abord le visage, les sourcils, la mâchoire, et le cou soudain qui se détend et se replace un peu plus haut, un peu plus en avant, il cligne des yeux et ça fait un bien fou cette seconde où il ferme les yeux, et puis le reste les épaules et les bras et les mains dans ses poches, le dos, le bas du dos, les jambes et les orteils dans les bottes ; bientôt il est accroupi face des constructions minuscules de pierres rondes et plates et polies les unes sur les autres comme des jouets d'enfant en équilibre et insensibles à la pluie ni au vent. Pierre sur pierre s'élèvent on dirait les toits d'un village miniature. Il s'assoit par terre sur le chemin humide et en arrêt il habitue ses yeux à ces architectures naïves et dérisoires, bancales bien que parfaitement stables, avec tout ce que l'étrangeté de leur présence organisée en ce lieu à chaque heure battu de vents et de pluie, et qui paraît désert ou du moins inhabitable, contient de sacré. Il oublie la pluie, le vent et toute l'humidité qui passe désormais à travers les fibres de ses vêtements. Il s'est assis, tout près du village de pierres. Tend le bras, ouvre les doigts, les referme sur une pierre presque ronde et très petite, froide et douce, il la tient quelques temps dans sa main, combien de temps ? elle se réchauffe au point de bientôt rendre la chaleur douce qu'il lui a donnée en la serrant dans sa main, il se penche sur la pyramide la plus proche, pas la plus haute ni la plus surprenante, lève le bras, la main tenant la pierre et dépose, très doucement, le caillou gris sur le dernier caillou gris de la pyramide. Dans un très petit geste d'immortalité et inoffensif. Un jour une Parisienne harassée passera sur ce même chemin et s'arrêtera. Elle posera une pierre presque ronde qu'elle aura chauffée dans sa main sur le haut de la même pyramide. Les oiseaux s'en servent de perchoir.

 

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