jeudi 25 avril 2019

Murs III

LA NARRATRICE :

Cela fait plusieurs jours que nous sommes ici. Plusieurs semaines, peut-être des mois, des années. Je ne sais pas comment nous sommes arrivés là, personne ne le sait. Ils ont chacun une manière bien particulière de répondre à l'angoisse d'être enfermé.
Elle par exemple, elle est persuadée que la sortie est dans le sol, alors elle creuse, elle creuse et n'arrive qu'à y laisser ses ongles brisés qui se mêlent à la poussière du lieu et à ses larmes. Elle, au contraire, elle pense que c'est dans le plafond, elle croit qu'elle est venue du ciel et qu'il n'y a rien à chercher dans le sol, que tout vient du ciel, tout y revient. Et la voilà qui bondit de plus en plus haut, c'est ce qu'elle croit, pour s'accrocher aux projecteurs, au poutres, au cintres, soulever le toit comme si c'était facile, d'une simple poussée le toit s'ouvrirait comme un vélux bien huilé. Elle s'appelle Luce. Tom, lui, il croit que s'il pleure-crie assez fort, s'il est assez poli, assez gentil, le mur s'ouvrira ou fera diligemment apparaître une porte. Elle, elle se dit qu'à force de frapper elle fera trembler les fondations et les murs s'effondreront d'eux-même. Elle ne pense pas que si elle fait ça, nous seront tous écrasés par le poids des murs qui s'écroulent. Je pense qu'elle veut bien qu'on soit tous écrasés par le poids des murs qui s'écroulent. Lui, c'est un intellectuel, un genre d'architecte ou d'ingénieur. Jean, il s'appelle. Il étudie la pièce afin d'y trouver un faille. Mais il a besoin de silence pour travailler et avec l'autre qui crie c'est pas possible. Il ne leur faut pas longtemps pour avoir envie de se battre, à ces deux-là. Ça leur arrive tous les jours et ils s'épuisent en même temps, puis retournent tranquillement à leurs vaines tentatives. Elle, c'est Anna. Elle est calme, elle essaye d'écouter à travers les murs pour entendre des voix. On n'entend rien d'autre que nos propres voix. Lui, c'est Will, se prend pour un magicien, à murmurer des incantations comme s'il détenait le secret de notre prison. Rien n'y fait.
[Un personnage s'approche, lui hurle quelque chose, lui montre du doigt chacun des personnages et s'approche d'elle, menaçant, prêt à frapper. Marie ne dit rien. Ne bouge même pas. Elle le regarde en silence]
Il peut hurler tant qu'il veut ça ne sert à rien, je n'entends rien.
Mais je sais pourquoi il est en colère. Je sais même que ce n'est pas à moi qu'il en veut. Il ne me connaît même pas. Il s'en veut à lui-même. Il croit que c'est sa faute s'il est là. Il pense que c'est un sorte de punition ou de châtiment divin, même s'il a jamais été très croyant. Il est en colère parce qu'il est passé à côté de sa vie, qu'elle était belle, et qu'il ne l'a même pas regardée. Pire, il l'a bousculée, jetée par terre, frappée, humiliée, et il est parti les mains dans les poches en jurant qu'on ne l'y prendrait plus. 

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