samedi 20 avril 2019

Murs II


LUCE
je me rappelle ma mère qui entre dans ma chambre pour ouvrir ma fenêtre et mes volets pousser mes livres et ça me dérange mais je ne dis rien
ça me dérange quand elle partira que je refermerai la fenêtre et les volets et remettrai les livres en place et il me faudra quelques temps pour me sentir à nouveau bien
oublier qu'il y a l'extérieur
oublier l'extérieur et le bruit des rues et le soleil qui s'invite dans ma chambre par les fentes des volets alors même que j'ai jamais voulu qu'il entre
lui
elle dit

LA MERE :
c'est le printemps
il faut sortir
prendre l'air –

LUCE
j'en veux pas de son air
c'est le printemps et moi je déambule dans la même chambre toujours
le soleil peint verts et bleues
les arbres et les fleurs
sans hésiter
sans penser l'équilibre des couleurs
ni la place des verticales
le soleil veut me peindre moi aussi
mais moi je ne veux pas !

je me rappelle c'était un printemps comme celui-là
j'étais sortie parce que
elle m'a dit

LA MERE :
ça te fera du bien –

LUCE:
et il était là [entre un personnage qui la séduit]
ses yeux brillaient
en moi s'ouvraient les pétales cramoisis d'une fièvre toujours close
ses mains volaient comme deux oiseaux autour de lui –

va-t'en
j'en veux pas
de tes étoiles
je veux pas
de tes fleurs
ni de tes oiseaux
laisse-moi
tes fleurs plantent leurs dards dans mes doigts
tes étoiles clignotent comme de vieilles lampes de poche
tes oiseaux tu les lances en les tirant par les ailes avec leurs
pattes mal vissées becs bien
taillés
aiguisés bien
visé tu as ça en toi
toute une volière d'oiseaux débiles
que tu alimentes en secret tu en as d'autres je le sais ils sont pas tous gentils et beaux tu crois que j'en veux de tes oiseaux ?

mais j'en suis un moi et un plus vaste que tous les pourris que tu fermes en toi fermés à clé et tu es tellement occupé à les nourrir que tu ne m'as pas vue filer rapide raser le sol tout droit jusqu'aux falaises qui s'effritent me jeter très loin au-dessus des vagues et de l'immense et du bleu

je ne pense pas vouloir sortir
je pense que je suis bien ici
je peux bien rester ici

PERSONNAGE 1:
il faut que tu sortes

LUCE:
on est bien
ici
toi et moi
et les autres

PERSONNAGE 2 :
Ici rien n'est vrai
rien n'est réel

LUCE :
ici tout est vrai
tout est réel
et ça ne fait pas mal de rester ici

PERSONNAGE 3 :
ça te fait mal de rester ici

LUCE [à la narratrice] :
tu n'es pas obligée de raconter mon histoire pour me faire sortir
tu n'es pas obligée de raconter une histoire
je ne veux pas savoir la suite
je ne veux pas savoir ce qu'il s'est vraiment passé
de toute façon tu mentirais
tu mens tout le temps
tu triches
tu t'arranges pour que ce soit beau
pour que ce soit cohérent
pour que tout le monde comprenne
mais c'est pas comme ça
la vérité
est ailleurs
et je vais rester là pour te le rappeler
ça va être ça
mon rôle
te dire tous les jours à quel point tu mens



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