La maison n’est pas grande. Deux pièces, une chambre dont un lit sans
couverture constitue l’unique ameublement, un salon vide, sauf un
canapé défoncé et sale ; une cuisine, une salle de bains, un garage à
l’arrière, avec une armoire renfermant encore des objets sans valeur.
D’autres bâtiments, ici, sont plus vastes. certains ont plusieurs
étages, un autre ressemble à un hôtel, il déploie fièrement ses ailes de
part et d’autre d’une porte à deux battants, avec des vitres éclatées
par un coup de vent ou une pierre lancée par des gamins. Mais celle-ci
me plaisait. J’entre à pas feutrés pour faire oublier l’effronterie, la
curiosité qui m’a mené jusque là, dans l’intention de sentir. Voire,
entrevoir une individualité, un confort, peut-être. Je me suis assis
d’un geste naturel, bien qu’un peu contenu. J’ai pensé que la maison
était accueillante. Une bouilloire dort encore sur la plaque de cuisson.
Demeure particulière. Sphère privée. Belle encore, malgré les années
sans visites. Rendue naturelle, sans artifice, sans souci du regard des
autres. Je dialogue avec la pièce. Elle est taciturne et renfrognée. Je
lui parle d’elle. Jadis, lieu d’apaisement. Bois des chaises. Couleur
délavée de la nappe. Ce qu’on n’a pas voulu déménager. Suggestion.
Manque. Ce n’est pas n’importe quelle maison, c’est ma maison. J’ai pris
place, je me suis assis à cette table bancale pour écrire. Sous moi, je
sens la chaise qui doucement craque de surprise de s'apercevoir qu'elle peut servir
encore. S’y installer quelques heures, c’est comme explorer une
impasse, comme s’asseoir au fond de la poche d’un géant. On y vient par
erreur, on pense qu’on perd son temps.
Il faudra pourtant qu’elle demeure, mais qu’elle demeure ainsi muette
et close, enfermant dans ses murs chaque année les témoins du temps qui
passe. Les portes étaient fermées, mais enfin, entrebâillées.
Resurgissent des couleurs veloutées surprises alors que le temps, la
mémoire, travaillaient lentement à les effacer. Par la fenêtre ouverte,
la lumière du printemps tardif révèle.
On a bien voulu ranger toutes les lumières, on les a rassemblées dans un tiroir à la hâte, sans faire plus attention, sans même prendre la peine de remettre à sa place le tiroir. Certainement la poussière se chargera du reste. C’était un acte inutile, plus symbolique qu’autre chose ; et d’ailleurs si l’on avait vraiment voulu éteindre toutes les lumières il aurait fallu mettre d’épais rideaux aux fenêtres, fermer solidement les volets, la porte à clé, mais non. La poussière chatouille mes narines, l’humidité de l’hiver, encore tapie dans les coins sombres. J’éternue. Sursaute la pièce. Laisse échapper dans son émoi quelques fragments, des souvenirs épars.
On a bien voulu ranger toutes les lumières, on les a rassemblées dans un tiroir à la hâte, sans faire plus attention, sans même prendre la peine de remettre à sa place le tiroir. Certainement la poussière se chargera du reste. C’était un acte inutile, plus symbolique qu’autre chose ; et d’ailleurs si l’on avait vraiment voulu éteindre toutes les lumières il aurait fallu mettre d’épais rideaux aux fenêtres, fermer solidement les volets, la porte à clé, mais non. La poussière chatouille mes narines, l’humidité de l’hiver, encore tapie dans les coins sombres. J’éternue. Sursaute la pièce. Laisse échapper dans son émoi quelques fragments, des souvenirs épars.
Des verres qui s'entrechoquent, la bouilloire siffle et crache une
fumée fantomatique, une casserole frappe un peu brutalement la plaque
électrique. Quelques pas décidés d'un homme qui traverse le couloir en
chantant. On s'habitue à un lieu. On s'y installe, on met les coudes sur
la table, quand on a bien tout rangé, exploré les coins et les placards
suspendus. On regarde. On voit la maison en relief pendant quelques
temps, on observe l'effet de la lumière sur les murs, les reflets, on
guette les changements de couleurs des surfaces en fonction de la
lumière et de l'inclinaison du soleil, de l'ampoule, et la fraîcheur du
printemps s'invite dès qu'on ouvre les volets, puis la fenêtre. On se
sent bien, sans doute. Une lourde femme en blouse à fleurs passe devant
la fenêtre en balançant doucement son arrosoir vide. Avec le temps
quelque chose en nous prend la forme de cette pièce et la recouvre,
prend la forme de la maison et du champ qu'il y a en face, du long
jardin endormi de l'autre côté de la route, du village tout autour.
C'est comme cela qu'on se sent chez soi. La tondeuse bourdonne au
dehors. L'horticulteur, d'un pas lent et cadencé, passe d'une serre à
l'autre, d'une voix tendre il murmure à demi-mots des promesses aux
fleurs abattues. Des cris d'enfants dans les ruelles. Le pas rapide et
pressé d'une étudiante qui se rend à un cours et pense à autre chose.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire