Sans
le vouloir il a pris leur apparence. Il est long et filiforme. Il paraît plus
long encore à cinquante ans qu’à vingt. Il est plus robuste, aussi, il tient
plus fermement au sol. Il semble n’avoir jamais cessé de grandir. Il a une tête
immense et lourde qui dodeline avec le vent, des cheveux frisés et bruns
forment une couronne épaisse. Il a de grandes mains qui tournent et s’agitent
comme des feuilles au vent, et de ces gestes un brin délicats où affleurent la
conscience et le respect. Il marche sans faire de bruit et tout ce qu’il porte
a pris la couleur de la terre. Il ressemble à un
arbre en voyage. De l’arbre aussi, il a ce rayonnement à la cime, ces longues
mèches qui poussent à son insu, il les coupe avec une régularité de
connaisseur, comme on fait des branches d’un arbre hirsute pour ne pas le
blesser. Il a des gestes savants. Il
effleure tout ce par quoi il passe et méthodiquement, imperceptible, il
comprend la gêne et le manque. Un peu médecin, il frôle le dessus et capte
l’intérieur. Il a vingt ans, arbre long, fin, itinérant. Il a soixante ans.
Plus long encore il a laissé pousser ses cheveux, décidé à prendre racines. Il
a cinquante ans, plus personne, depuis longtemps, plus personne pour le
soutenir, remplacer les fleurs épuisées par de nouvelles, réparer la porte de
la serre, apporter de l’eau, une autre tondeuse, pendant trente ans il était
là, il ramenait le jardin à
la raison et à la vie, petit à petit, par poussées d’un millimètre, tailles
très douces et juste assez d’eau pour qu’éclatent les couleurs au soleil. Il a
vingt-cinq ans et de ses grandes mains pointent des pétales vifs et brillants.
La tête de la fleur bercée par le déplacement de l’air à son passage se penche
un peu, lourde et charmée, elle semble l’écouter chanter à mi-voix. Il a quarante ans, il enfante encore des fleurs. Il a cinquante ans,
il enjambe les débris, plus longues sont les enjambées, il a soixante ans, le jardin cesse d’entendre, il murmure comme
font les sourds enfermés, pendant longtemps, il avait prévenu la folie de ce
lieu. Il a quatre-vingt ans, ses cheveux souples et longs tombent en cascade et
sa tête vacille sous les coups du vent.
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