mardi 31 octobre 2017

Métamorphose

Svetlana Bekyarova, Ikar's daughter
     Dans l’arbre blanc, on penserait qu'un oiseau bondit de branche en branche, il agite ses ailes et secoue sans ménagement toute l'harmonie que j'avais mise en place. Il s'agite et je devine, dans ce petit corps, qu'une force irrésistible et autoritaire l'empêche de rester en place. Son cœur d'oiseau qui bat si vite ses pensées qui roulent des images de galaxies et d'étoiles, je les entends d'ici ; de même elle roule de branche en branche, ma sauvageonne, mon oiseau-comète, comme un astre saisi à même le ciel, un jour elle tombera de l'arbre, je l'imagine rouler sous les herbes hautes, peut-être tout brûler à son passage, à force de rouler ainsi entre les branches, je sais ça la fait rire de penser qu'on s'inquiète pour elle, je sais, elle se croit invincible, et bien sûr, si elle venait à tomber elle écarterait grand ses ailes et éviterait la dure rencontre avec le sol, eh bien, à force de rouler ainsi entre les branches elle en cassera une, parce qu'elle ne fait jamais attention à rien, qu'elle fasse tomber des fleurs, ce n'est rien, mais qu'elle casse une branche ! et il tomberait, cet oiseau-là, lui qui croit qu'il peut encore voler, il tomberait et se ferait mal et je veux encore entendre un peu son drôle de rire avant qu'elle grandisse ou se disloque, et je ne veux pas qu'elle roule sous les herbes, ce n'est pas sûr que je la retrouve, petite comme elle est, a-t-elle vu la hauteur de ces herbes-là, les branches d'un mirabellier, c'est traître, ça se casse ; elle est drôle, elle rayonne, avec ses cheveux blonds en bataille, ses joues rouges, ses grands yeux bleus qu'on peut voir très ronds dans un blanc laiteux quand elle admire – j'aime que fleurissent ses yeux que sa bouche éclose que son nez s'avance un peu pour sentir – mais elle ne fait attention à rien, elle entre, elle sort, elle fait comme chez elle et personne ne lui dit rien, elle casse des choses, elle fait du bruit dans la maison de la grand-mère et la grand-mère ne dit rien, elle fait mine qu'elle est sourde et sourit en coin, sourit qu'on vienne enfin faire du bruit dans sa maison, elle fait mine qu'elle est vieille et que ça ne l'atteint pas, mais c'est vrai qu'elle s'en fiche, on peut venir chez elle et tout mettre sens dessus dessous, ça lui est égal, tant qu'il y a du bruit ! j'ai appris à apprécier ses bavardages qui ne disent rien, qui se répètent et tournent en boucle comme un vieux disque, avec chaque fois une voix plus éraillée, j'ai appris à apprécier ses bavardages pour avoir seulement le loisir d'admirer ses rides, ses lèvres fines comme du papier qui a pris l'eau, son visage monumental, qui se laisse regarder sans ciller sans rien cacher mais sans ouvrir ses portes ; la grand-mère, l'arrière grand-mère fermée à clé, qui ne dit rien que les choses sans importance est-ce que tu veux encore un peu de lait ? oui, non, je n'en sais rien, ne reste pas ainsi rentrée en toi-même comme dans une coquille, il faut que tu me parles, que tu me guides le long du chemin de tes rides, que tu m'aides à naviguer dans les deltas qui sont aux coins de tes yeux, et elle reste de marbre figée dans des mouvements anciens, de plus en plus courbée, et la confiture ? tu l'aimes, la confiture, c'est mon oncle qui en faisait de la confiture, elle était bien bonne ; et moi qui croyais tout savoir, me voilà face à l'indéchiffrable, ce visage creusé et doux comme une façade ancienne lavée par les eaux.

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